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Camille Falguière (Nestlé) : "C'est tout le funnel marketing qui va être impacté par l’IA”

De la génération d’insights à l’idéation de nouveaux produits, de la génération de contenu à leur diffusion, Nestlé repense l’ensemble de son funnel marketing à l’aune de l’intelligence artificielle. Camille Falguière, directrice marketing du groupe en France, raconte comment le groupe a mis la donnée et les usages au cœur de sa stratégie, à travers en particulier une plateforme interne baptisée Knowledge Nest. Une ambition : aller plus vite, sans se perdre.

Open Garden. Comment avez-vous fait de l’IA un levier de transformation du marketing chez Nestlé ?​ 

Camille Falguière (Nestlé). Chez Nestlé, nous estimons que c’est tout le funnel marketing qui va être impacté par l’IA : de la génération d’insights à celle d’assets créatifs, en passant par tout le processus d’idéation, pour générer de nouveaux concepts. 

Notre cas d’usage le plus avancé concerne la partie “insights”, avec l’ouverture à toutes nos équipes marketing d’une plateforme baptisée “Knowledge Nest”, dans laquelle nous avons uploadé plus de 43 000 études marketing (consommateurs, shoppers, veilles...) , quali ou quanti, réalisées par le groupe et des instituts partenaires au cours de ces dernières années. 

C’est un chantier de plusieurs mois qui doit nous permettre de renforcer notre “consumer centricity” et d’exploiter toujours mieux les insights consommateurs 

Comment concrètement ? 

Nos marketeurs pourront interroger l’outil en langage naturel. C’est, par exemple, l’interroger sur la Gen Z et ses habitudes alimentaires. L’outil va aller “screener” toutes les études recensées à ce sujet, compiler les slides intéressantes et offrir une réponse structurée, qui viendra alimenter le marketeur dans sa réflexion. Évidemment, chacun aura des autorisations différentes en fonction de sa localisation et de sa fonction.

Les insights, c’est le fondement de toute démarche marketing mais il y a, à date, une déperdition énorme sur ce sujet. Parce qu’un marketeur n’a pas toujours conscience des études qu’il a à sa disposition, qu’elles sont disséminées à droite à gauche ou pas évidentes à identifier. L’objectif, c’est de mieux valoriser tout cela. 

Et après ?

Nous espérons pouvoir aller un cran plus loin, en branchant un outil de génération de concepts, un autre projet sur lequel nous planchons aux Etats-Unis, à cette base de données. Cela nous permettra de transformer certains insights en innovations produits. Cela devrait nous permettre de générer des idées produits toujours plus innovantes et pertinentes pour nos consommateurs.  

Cet outil devrait permettre d’aller beaucoup plus vite dans cette phase d’idéation et peut-être même d’aller jusqu’à tester ces nouveaux concepts auprès de “persona AI”, c'est-à-dire un persona marketing que vous voulez cibler et qui est simulé par l’IA.

Vous le voyez, une fois que vous avez commencé à tirer le fil, vous pouvez aller très loin ! Et c’est peut-être ça l’un des principaux dangers quand on se lance dans l’IA : risquer de se perdre en chemin. Il faut bien choisir ses batailles et prioriser les chantiers en fonction du gain apporté par l’IA à vos opérations ou votre business. 

Quelles métriques utiliserez-vous pour évaluer le succès de votre plateforme de génération d’insights ?

Tout simplement l’usage, qu’il s’agisse du nombre de marketeurs qui l’utilisent, du nombre d’études qui continuent d’y être chargées et du nombre de projets qui ont été initiés grâce aux insights ainsi générés. 

Comment allez-vous booster cet usage ?

Nous présentons le 5 juin cette plateforme à l'ensemble des équipes marketing France de Nestlé, soit plus de 200 collaborateurs, qui seront formés pour l'occasion. Puis nous allons nous appuyer sur une équipe de "super utilisateurs" qui ont pour mission de booster l'adoption de l'outil dans leurs équipes respectives. Il est essentiel que tout le monde s’approprie l’outil, la formation est clef ! 

Sur tous les sujets IA, la  gestion du changement est essentielle ; elle est notamment  portée par notre équipe digitale, qui gère le déploiement de projets IA cross-fonctions. Des ambassadeurs IA, présents dans chaque équipe pour identifier des cas d’usages opérationnels, auront aussi pour mission d’évangéliser leurs collègues. 

Nous avons la conviction que le changement viendra aussi de la base. On ne peut pas se contenter de faire du “top down”, il faut mettre chacun à contribution. C’est le sens du projet “InGenius” que nous avons lancé en 2024, qui a permis à nos collaborateurs de formuler plus de 200 propositions de projets liés à l’IA, dont 7 ont été priorisés pour être testés prochainement. 

A quels risques s’exposent les marques qui abusent de l’IA selon vous ? 

Le principal risque, c’est sur la partie génération de contenu, la perte de singularité, c’est-à-dire que vos contenus ressemblent à beaucoup d’autres. Le risque est d’autant plus grand que, comme l’IA abaisse la barrière à l’entrée en matière de coût, les consommateurs vont sans doute être exposés à beaucoup plus de communications.

Il faut donc éviter d’être noyé dans la masse et je pense que la démocratisation de l’IA est d’autant plus intéressante pour nous autres marketeurs, qu’elle va nous inciter à définir  des territoires de marques toujours plus précis et spécifiques, à nous efforcer de construire des marques qui sont réellement iconiques et singulières, et à développer des communications toujours plus disruptives. 

C'est la raison pour laquelle l’humain restera clé, pour nourrir l’IA de façon à ce qu’elle cultive votre singularité mais aussi garder un regard critique vis-à-vis de ce qu’elle propose. Ce qui, je le reconnais, n’est pas toujours évident à faire tant on peut être bluffé par la prouesse technique derrière ce genre d’outils. 

Quel serait votre conseil pour un marketeur qui veut être “AI ready” ?

Si on sait que les compétences du marketeur vont changer à l’ère de l’IA, on ne sait pas vraiment comment. Il faut rester humble là-dessus. 

Parmi les rares certitudes que j’ai, il y a cette importance de garder un esprit critique pour juger ce que nous propose l’IA et bien l’exploiter. Il sera crucial de bien s’entourer pour appréhender ce virage et nos partenaires agences joueront un rôle clef. L’IA ne va pas venir remplacer nos prestataires, bien au contraire.

L’autre enjeu, selon moi, c’est la data, qui doit être bien structurée et harmonisée. Ça ne date pas d’hier et c’est déjà clé dans un projet comme le marketing mix modeling (MMM) par exemple. Mais c’est exacerbé avec la démocratisation de l’IA.

Des choses que vous vous interdisez en matière d’utilisation d’IA chez Nestlé ? 

Nous faisons le choix de ne pas utiliser de voix humaines ou d’acteurs générés par l’IA dans nos contenus marketing. Nous voulons rester authentiques et respectueux en matière de propriété intellectuelle. 

De même, nous sommes très vigilants sur les données qui viennent alimenter ces modèles. Il y a, de ce point de vue, un réel enjeu de sécurité. Nous avons mis en place un “Responsible IA framework” pour rappeler ce cadre à tous nos utilisateurs.

En interne, nous avons un outil propriétaire NesGPT qui garantit que toute la data reste en interne. Chaque collaborateur est sensibilisé au fait que les données qu’il partage à un prestataire seront susceptibles de nourrir une IA externe.

Bref, nous pensons que l’IA n’a pas fini de nous surprendre et que nous n’avons découvert qu’une partie infime de son potentiel et de la façon dont elle va augmenter nos marketeurs et leur permettre de gagner en efficacité et d’exacerber leur créativité.