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Amazon DSP : l’outsider qui bouscule le duo The Trade Desk - Google

Si The Trade Desk ne fait plus mystère de son ambition de détrôner DV 360, le DSP de Google, en tant qu’outil préféré des plus gros acheteurs de publicité programmatique (notamment le Big 6), la société fondée par Jeff Green doit compter, depuis plusieurs mois, avec un nouveau rival de taille : Amazon DSP.
Le géant américain de l’e-commerce ne s’en cache plus. Il veut que son outil d’achat ne se cantonne plus à son propre inventaire publicitaire, qui est composé de Prime Vidéo et Twitch notamment. Et il enjoint désormais les agences médias à lui confier l’intégralité de leurs campagnes programmatiques sur l’Open Garden, du display classique à l’inventaire streaming des broadcasters. Un bon moyen de faire croître une activité qui lui a rapporté pas moins de 56 milliards de dollars de revenus en 2024.
Pousser les acheteurs médias à utiliser Amazon DSP aura, à ce titre, plusieurs vertus. Cela lui permet de capter quelques pourcents des budgets investis hors de son inventaire (entre 2% et 15 selon le mode d’achat), de mieux comprendre l’état du marché (savoir quand il sur ou sous-performe côté vente) et, évidemment, d’orienter une part plus forte desdits budgets vers son inventaire, ne serait-ce que grâce à l’interopérabilité des environnements. Une stratégie éprouvée par Google au cours des 15 dernières années.
“Il est aujourd’hui possible d’accéder à l’inventaire de TF1+, M6+ et cie en programmatique garanti depuis Amazon DSP”, rappelle Ophélie Quint-Brunet, head of digital consulting et opérations chez Havas Media Network. Ce n’était pas le cas, il y a encore quelques mois… et cela a manifestement très vite pris puisqu’Amazon DSP a, selon nos informations, contribué à près de 13% des revenus programmatiques réalisés par les broadcasters français depuis début 2025 (ce ratio était d’à peine 2% un an plus tôt).
Amazon DSP a contribué à près de 13% des revenus programmatiques réalisés par les broadcasters français depuis début 2025 (ce ratio était d’à peine 2% un an plus tôt)
Bien sûr, Amazon reste encore loin de DV 360 et The Trade Desk, les deux leaders, avec respectivement 44% et 34% de part de marché chez les broadcasters. Mais sa percée reste admirable dans ce marché où les barrières à l’entrée sont plutôt élevées.
Elle est d’abord le reflet d’une stratégie commerciale plutôt agressive, avec des remises tarifaires qui ne doivent pas laisser le Big 6 insensible. Des DSP fees qui peuvent tomber à 1, voire 0,5%, si vous confiez l’intégralité du budget streaming à Amazon DSP en programmatique garanti (contre 2 à 5% pour DV 360 et The Trade Desk). Mais aussi des bonus d’impressions offertes sur l’inventaire Prime Video, qui montait jusqu’à 20% du budget alloué à la Bvod au dernier trimestre 2024.
“Si je mettais 100 sur TF1+ et cie, Amazon m’offrait 20 sur Prime Vidéo. C’était quand même hyper attractif quand on connaît la puissance de ce dernier”, sourit un acheteur qui ne pense pas être le seul à avoir succombé.
Il y a aussi une volonté de s’appuyer sur l’écosystème existant. Les agences médias justement, sur lesquelles les marques sont financièrement incitées à s’appuyer puisque les agences bénéficient d’une décote spéciale de 15% du CPM. Les SSP aussi font partie intégrantes de la stratégie d’Amazon, puisque que ses équipes commerciales d’Amazon n’hésitent pas à les faire venir chez les clients annonceurs, dans une stratégie de co-pitching.
Une envie de la jouer collectif qui est d’autant plus appréciée qu’elle s’inscrit en miroir inversé ce que fait The Trade Desk actuellement. “On voit bien que ce dernier met aujourd’hui une grande partie de son énergie à traiter avec les annonceurs et les publishers en direct”, témoigne un patron de SSP qui dit voir d’un bon œil la montée en puissance d’Amazon DSP.
Et puis il y a, évidemment, tous les arguments inhérents à l’écosystème Amazon. L’accès à la data issue de l’activité e-commerce bien sûr, qui est accessible via Amazon Marketing Cloud (AMC), pour permettre aux acheteurs médias de mieux qualifier leurs segments 1st party.
“Une fonctionnalité comme Flexible Shopping Insight permet aujourd’hui aux annonceurs endémiques d’enrichir leurs rapports de campagnes avec des tendances d’achats fournies par Amazon. Cela leur permet notamment de mesurer l'impact incrémental des campagnes de publicité sur les ventes.”, témoigne Thomas Allemand, VP adtech et supply de Jellyfish.
Il y aussi l’accès à l’inventaire de Prime Video Ads, le leader incontesté de la publicité SVOD, avec ses 9 millions d’utilisateurs (contre un peu plus de 5 millions pour Netflix). Et le recours à AMC pour mesurer l’efficacité des campagnes (notamment l’incrément de couverture apporté par la Bvod au plan Prime Video) et récupérer, en fonction de ces dernières, des insights qui permettront d’améliorer les performances futures. La fameuse flywheel d’Amazon.
Autant d’avantages qui font d’Amazon DSP, “un DSP full-funnel sous stéroïdes qui attire de plus en plus d’annonceurs”, selon Thomas Allemand. Un DSP qui souffre toutefois encore d’une mauvaise réputation du côté des acheteurs médias, qui citent, en vrac, un outil pas suffisamment solide sur certains fondamentaux comme la programmation de deals ou les modules de troubleshooting, une interface utilisateur un brin vétuste (qui souffre forcément de la comparaison avec celle de The Trade Desk).
Amazon, c’est un peu ce concessionnaire qui vous vend une berline de luxe avec toutes les options possibles et imaginables (AMC, APC et cie) mais qui a oublié que ce que vous vouliez avant tout, c’est qu’elle aille d’un point A à un point B sans tomber en panne
“Vous n’êtes jamais très serein quand vous paramétrez un deal avec Amazon DSP”, témoigne un acheteur du Big 6, qui tente la métaphore automobile pour illustrer son dilemme. “Amazon, c’est un peu ce concessionnaire qui vous vend une berline de luxe avec toutes les options possibles et imaginables (AMC, APC et cie), mais qui a oublié que ce que vous vouliez avant tout, c’est qu’elle aille d’un point A à un point B sans tomber en panne.”
Des reproches qui agacent forcément en interne, où l’on estime que les acheteurs restent souvent sur l’impression laissée par l’outil à ses débuts. L’outil ayant, il est vrai, pas mal évolué, en témoigne le lancement de Brand+, sur la parti stream / upper funnel, et celui de Performance+, sur la partie display / bas de funnel.
Et qui même sur des sujets chers aux acheteurs de l’Open Web, comme le custom bidding ou le SPO, commence à proposer certaines choses. Amazon n’a, par exemple, pas tardé à annoncer l’arrivée de reportings de campagne URL par URL (et non plus domaine par domaine) suite au rapport d’Adalytics démontrant la présence de publicités sur un site diffusant des contenus pédo-pornographiques.
“C’est quand même devenu plus compliqué de les prendre en défaut”, reconnaît un autre acheteur média. Lequel estime que les reproches adressés à Amazon DSP sont autant le reflet de certaines défaillances que des difficultés des acheteurs médias à changer leurs habitudes.
Un constat que partage Emmanuel Crego, le directeur général de Values.media. “Ça ne va pas être évident de déloger les DSP leaders de chez certaines agences. Qu’il s’agisse de celles du Big 6 qui ont des accords globaux, ou des indépendantes qui, comme la nôtre, ont obtenu des fonctionnalités spécifiques, ont des milliers de deals ID en place, le tout à des tarifs négociés.”
Pas évident… mais loin d’être infaisable. “Si les volumes de Prime Video progressent à la vitesse actuelle, les traders n’auront, de toute façon, pas d’autre choix que de suivre”, prévient Ophélie Quint-Brunet. Les statistiques citées en début d’article montrent que c’est déjà le cas.
“Il y a eu un vrai boom avec le lancement de Prime Video Ads”, confirme Thomas Allemand qui a commencé à utiliser Amazon DSP pour acheter de l’inventaire Bvod à partir du second semestre.
The Trade Desk souffre le plus de cette offensive
Reste une question qui vous brûle sans doute les lèvres. Qui de DV 360 ou de The Trade Desk souffre le plus de cette montée en puissance ? On a un premier indice avec l’évolution des parts de marché de DV 360 et The Trade Desk avant / après l’arrivée d’Amazon.
Sur 2024, The Trade Desk est à 45% de part de marché, DV 360 à 41%, avec une part de marché d’Amazon qui est elle, anecdotique. Début 2025, le classement s’est inversé, puisque DV 360 est désormais à 44% et The Trade Desk à 34% chez les broadcasters.
De là à en conclure que l’offensive d’Amazon DSP fait surtout du mal à The Trade Desk, il y a un pas que je ne franchirai pas. Parce que l’échantillon est encore limité et qu’un évènement externe peut biaiser l’analyse. Mais une vraie tendance se dessine…
Et ce n’est pas totalement une surprise quand on sait que 1) les agences médias évitent d’utiliser plus de deux DSP pour opérer une même campagne comme nous le rappelions dans le dernier épisode d’Adtech Refresh et que 2) DV 360 reste incontournable puisqu’il est le seul à donner accès à l’archi leader du secteur de la vidéo programmatique : Youtube.
“Le facteur clé de succès, c’est l’exclusivité, qu’il s’agisse de data ou d’inventaire publicitaire”, rappelle Thomas Allemand. C’est là tout le problème de The Trade Desk : réussir à rester incontournable sans avoir d’inventaire propriétaire, ou à défaut, disponible en exclusivité, puisque même ses deux inventaires “stars” sur le streaming, Netflix et Disney+, sont accessibles ailleurs.
C’est la raison pour laquelle le DSP s’est embarqué dans un projet d’OS maison, qui doit lui permettre de garder la main sur la CTV (même si le marché est archi concurrentiel) ou que sur le volet data, il multiplie les partenariats avec les retailers “brick and mortar”.
Il y a bien sûr Walmart aux Etats-Unis, mais aussi Carrefour et Auchan, en France, dont la data est activable depuis The Trade Desk via un branchement à Liveramp. Sachant que le DSP discute évidemment avec d’autres retailers, notamment dans le high tech, pour faire de même.
Un pari malin alors qu’Amazon DSP se concentre sur sa data 1st party qui, si elle est aussi puissante que granulaire, a tout de même un défaut : elle se cantonne à l’e-commerce qui représente, selon les chiffres de la Fevad, “seulement” 10% du commerce de détail.
L’autre force de The Trade Desk, c’est évidemment son indépendance puisqu’il ne peut, contrairement à Amazon DSP, pas être soupçonné de conflit d’intérêt. Certains broadcasters m’ont confirmé que, même s’ils ne se sentaient pas d’empêcher leurs acheteurs de passer par le DSP d’Amazon, c’était problématique d’avoir un DSP qui, à l’instar de DV 360, juge de la qualité des inventaires à l’aune du sien.
Surtout quand on voit que la dernière feature du DSP, Complete TV, propose aux acheteurs, une fois qu’ils lui ont partagé leurs engagements annuels avec chaque plateforme de streaming, de répartir ces montants de manière à optimiser l’efficacité des campagnes.
“On reste vigilants sur le sujet et on attend la mesure cross-media de Mediamétrie pour avoir un juge de paix qui serait autre qu’Amazon”, explique un broadcaster. Des réserves qu’Amazon entend bien lever grâce à une fonctionnalité proposée pour l’instant uniquement aux Etats-Unis, via APC, qui permettra aux éditeurs de qualifier leur inventaire à l’aune de la data Amazon. Par exemple, savoir que les acheteurs d’Iphone fréquentent telle ou telle rubrique. C’est prévu pour fin 2025 - début 2026…