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Les agents IA peuvent-ils vraiment remplacer les DSP ?

Peut-on imaginer un jour DV 360, The Trade Desk et cie remplacés par une plateforme s’appuyant sur des agents IA ? C’est la question que nous sommes nombreux à nous poser depuis l’annonce de la fermeture de Xandr DSP, Microsoft ayant décidé de se concentrer sur le développement d’une plateforme dopée à l’IA, en sous-entendant qu’on était entré dans l’ère du conversationnel et de l’agentique

Pour répondre à la question d’ouverture, il convient déjà de rappeler ce qu’est un DSP. 

Un DSP, c’est surtout deux choses : 

1° une interface au sein de laquelle on peut faire son mediaplanning et paramétrer sa campagne 

2° un bidder qui opère des transactions en s’appuyant sur le protocole Open RTB et des routes mises en place vers des inventaires tiers.

Spoiler : la révolution est déjà enclenchée en ce qui concerne le premier point, puisque de nombreuses adtech (pas que les DSP d’ailleurs, on peut citer Scope3, Olyzon ou encore Displayce) ont mis sur pied un système agentique permettant l’automatisation accrue de certaines tâches opérationnelles (média et audience planning, setup des campagnes…), notamment pour remédier aux soucis de staffing des pôles trading des agences médias. Mais nous y reviendrons dans un prochain article. 

Car le sujet du jour, c’est le cœur du réacteur, à savoir la partie bidding, pour laquelle la mise en place d’agents IA apporterait, de par leur flexibilité opérationnelle et leur capacité de raisonnement contextuel, énormément de valeur ajoutée, à en croire le fondateur d’Epicflare, Raphaël Ambit, pionnier de l’agentique appliqué à l’adtech.

L’Open RTB traditionnel repose sur des échanges d’informations standardisés, rappelle celui qui a été VP Ads chez Dailymotion. “Les échanges sont certes enrichis de datapoints toujours plus nombreux mais ils sont pénalisés par une approche rigide, fondée sur des règles prédéfinies”, estime Raphaël Ambit. 

En d’autres termes, l’algorithme d’enchères d’un DSP suit des modèles de machine learning qui sont très puissants (et peuvent même être customisés dans le cadre du custom bidding) mais ils sont complètement statiques. C’est-à-dire qu’ils ne changent rien à leur manière d’agir tant que vous n’y touchez pas. 

Ce n’est pas le cas d’un agent IA qui, appliqué aux transactions programmatiques, bénéficierait d’une capacité d’interprétation dynamique. “Il pourrait choisir d’exploiter ou d’ignorer certains data points selon le contexte spécifique, les objectifs précis de la campagne, la typologie média, ou encore le profil de l’annonceur”, illustre Raphaël Ambit. 

Un agent transactionnel pourrait aller bien plus loin : mixer RTB et réservation anticipée et même sortir du modèle d’enchères à l’aveugle pour ouvrir une vraie négociation automatisée avec l’éditeur. 

L’expert rappelle, par ailleurs, que les enchères programmatiques actuelles sont rigides : one-shot en first-price, à l’aveugle, sans véritable aspect de négociation puisque c’est l’enchère la plus élevée qui est retenue et basta. 

Un agent transactionnel pourrait aller bien plus loin : mixer RTB et réservation anticipée et même sortir du modèle d’enchères à l’aveugle pour ouvrir une vraie négociation automatisée avec l’éditeur. 

La dynamique des enchères pourrait alors être totalement remise à plat, avec la prise en compte d’autres critères retenus (SPO, qualité de l’annonceur, volume investi par l’annonceur sur l’année…) au moment de choisir le vainqueur.

En outre, cette logique de “discussion transactionnelle” permettrait aussi une meilleure évaluation de la supply, avec une véritable interprétation des bids envoyés, des fichiers ads txt et donc un SPO nouvelle génération basé sur un raisonnement beaucoup plus adaptable.

“Brian O’Kelley, le fondateur de Scope3, en parle très bien dans un billet sur la fin de la taxonomie, le déploiement d’agents pourrait permettre à l’industrie pub de s’affranchir de l’approche très binaire du programmatique”, abonde Thomas Allemand, VP adtech chez Jellyfish.

Le sujet de la vitesse d’exécution et du coût

Reste une inconnue de taille : de tels agents seraient-ils compatibles avec les exigences de vitesse de l’écosystème pub programmatique ? C’est un peu le même souci qu’à l’époque où l’on nous promettait la révolution blockchain en programmatique (notamment pour mettre fin à son opacité). 

“L’Open RTB est affaire de quelques dizaines, voire centaine de millisecondes, rappelle Raphaël Ambit, exigence que la Generative AI telle qu’on la connaît aujourd’hui ne satisfait pas encore pleinement.” 

Bien sûr, il ne faut jamais dire jamais, surtout quand on voit à quel point la technologie évolue vite mais c’est une réalité qu’il ne faut pas négliger : “les modèles d’agents IA reposent sur des LLM conçus initialement pour générer du texte prédictif de manière cohérente mais pas pour réaliser des transactions à très haute fréquence.”

Thomas Allemand ajoute le sujet du coût de ces agents à l’équation : “Une transaction, c’est quelques centimes d’euros. Cela pose la question de la rentabilité d’un decisionning basé sur de l’agentique et des puissances de calcul élevées.” 

C’est un peu le même raisonnement que fait un annonceur qui vous dit qu’il préfère bastonner en média, sans aucun ciblage, plutôt que de mettre le poids du corps sur l’audience planning. Parfois, le surcoût engendré par l’intelligence de ciblage est impossible à rentabiliser. Difficile de savoir ce qu’il en est et ce qu’il en sera de l’agentique. D’autant que la révolution Deepseek a montré que les choses pouvaient vite bouger.

Il faudrait aussi réfléchir aux chemins que ces agents emprunteraient. “Il ne faut pas sous-estimer tout le travail de tuyauterie qui est entrepris par les DSP depuis plusieurs années, pour se brancher à la supply”, rappelle Pierre De Lannoy, strategy director de MiQ. 

C’est vrai : ils doivent sans cesse s’ouvrir à de nouveaux environnements, comme la CTV ou le retail media, tout en innovant côté produit. “Un travail de "plomberie", plutôt fastidieux, qui n'est pas à la portée du premier venu, en termes de technicité comme de coût”, rappelle Pierre De Lannoy.

Se posera aussi la question du degré d'autonomie et de flexibilité accordé à ces agents. “Les protocoles existants aujourd'hui sont relativement rigides, alors que les agents disposent naturellement d'une capacité de raisonnement et d'autonomie beaucoup plus étendue”, estime Raphaël Ambit. 

Définir les limites de cette liberté sera une problématique centrale. Tout l’enjeu reste de laisser suffisamment de “mou” à l’agent pour qu’il aille chercher des poches d’optimisation auxquelles l’humain n’a pas forcément pensé dans son brief, sans pour autant que cette marge de manœuvre ne le fasse aller sur des territoires interdits (car inventaire “non brand safe”, par exemple).

On serait, dans ce cas de figure, en présence d’un agent transactionnel s’appuyant sur le protocole Open RTB. Un modus operandi qui permettrait de mettre la capacité de raisonnement d'intelligences agentiques au service du programmatique, sans attendre que les fondamentaux de ce dernier évoluent. Pratique pour aller vite… mais on peut aller plus loin.

Si les agents IA devaient venir à remplacer les DSP, il faudrait qu’ils fassent de même avec leurs partenaires, de l’autre côté de la chaîne de valeur, les SSP. “Pour qu’un agent situé côté DSP soit pleinement transactionnel, il doit pouvoir dialoguer avec un autre agent, cette fois situé côté supply”, explique Raphaël Ambit. 

Dit autrement, on aurait, d’un côté, un agent acheteur, qui évalue et sélectionne des inventaires sur des critères très précis, comme le fait aujourd’hui le bidder d’un DSP, et de l’autre, un SSP, qui dispose, lui, d’un agent vendeur capable de fournir à l’agent du DSP les informations détaillées nécessaires à sa prise de décision.

Une contrainte qui implique donc la création d’un nouveau protocole d’échange normé pour permettre cette communication agent to agent (on parle de A2A dans le jargon). “Un protocole commun rigoureusement normé, équivalent à l’OpenRTB actuel, mais enrichi spécifiquement pour l’usage des agents IA”, explique Raphaël Ambit. 

L'intérêt d’un tel système ? Garder un univers totalement unifié autour d'un standard unique A2A qui devrait rendre l'achat encore plus efficace car pleinement normé autour de l'agentique. 

Le “petit” problème c’est que, bien évidemment, un tel protocole n’existe pas encore et nécessitera donc un travail de normalisation considérable sur lequel l’IAB Tech Lab, le “plombier” du programmatique n’a pas encore communiqué. 

Même si Google a déjà avancé sur le sujet, avec un protocole A2A ouvert, auquel Microsoft s’est associé, et qui pourrait, j’imagine, être adapté aux spécificités du marché pub (avec un agent côté ad-server, là où se fait l’ad-decisionning, et un autre, chez l’adtech qui apporte la demande).

Ce serait aussi peut-être l’occasion de sortir d’un paradigme, celui d’Open RTB, qui évolue très lentement, comme le rappelle Thomas Allemand. “Même si OpenRTB 3 est sorti il y a plusieurs années, le marché reste bloqué à la version 2.6, rappelle Thomas Allemand. Il y a beaucoup d’inertie autour de l’innovation.” Beaucoup d’inertie… mais aussi beaucoup de déception. 

L’Open RTB et le programmatique se sont construits sur les cendres des ad-networks comme Hi-Media, Specific Media ou Adconium. Rien ne dit qu’il ne subira pas le même sort, au profit des agents IA cette fois.

“Est-ce que le développement de l’agentique n’est pas aussi l’occasion de s’affranchir d’un mode d’achat programmatique qui, de par ses soucis d’opacités et d’intermédiaires en tous genres, n’est plus aussi porteur”, s’interroge l’expert.

L’Open RTB et le secteur du programmatique se sont construits sur les cendres des ad-networks, comme Hi-Media, Specific Media ou Adconium. Rien ne dit qu’il ne subira pas le même sort, au profit des agents IA cette fois. D’autant que l’écosystème est en pleine mutation et que les frontières entre SSP et DSP ne tombent, en témoignent tous ces acteurs de la chaîne de valeur programmatique soient tous présents des deux côtés de la chaîne de valeur. 

Arnaud Créput, le CEO d’Equativ, parle de “programmatic direct platform” et les récentes annonces de The Trade Desk, qui se branche en direct à la supply avec Open Path, et de Magnite / Pubmatic / Freewheel, qui ont tous les trois lancé leur interface buy-side, laissent à penser que ce n’est pas un épiphénomène.

“L’essor de ces intégrations ‘direct path” faciliterait indéniablement le déploiement d’agents acheteurs”, confirme Raphaël Ambit. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’agentique s’est d’abord développé chez les walled gardens (Google et Meta en tête) puisqu’il est beaucoup plus facile de s’appuyer dessus lorsque vous contrôlez les deux bouts de la chaîne. 

Forcément un motif d’inquiétude pour Raphaël Ambit, qui craint que “certains acteurs choisissent d’implémenter leurs propres standards internes fermés, pour avancer seul, quitte à devenir un black box.”

Ce serait un choix pragmatique pour certains géants qui, voyant Meta, Google ou TikTok, avancer très vite sur le sujet, ne voudraient pas rester sur le bord de la route. Mais ce serait peu compatible avec le développement d’un Open Web qui gagnerait, lui, à s’appuyer sur un protocole ouvert commun…