• Open Garden
  • Posts
  • Les quatre chantiers des broadcasters pour faire venir les PME en CTV

Les quatre chantiers des broadcasters pour faire venir les PME en CTV

Longtemps chasse gardée des grandes marques, la télévision s’ouvre désormais aux petites entreprises. Pour TF1 Pub, M6 Pub et consorts, les petites et moyennes entreprises (PME) représentent un véritable eldorado. 

Un vivier d’annonceurs qui, contrairement aux grandes marques, investissent en fil rouge et présentent un taux de churn bien plus faible. “Et qui, en plus, ne négocient pas farouchement, comme c’est le cas des plus gros acheteurs TV, ce qui laisse forcément augurer des CPM plus intéressants”, précise Emmanuel Crego, le DG de Values.media.

Forcément bienvenue alors que les revenus du linéaire baissent (ou sont amenés à baisser) et que la croissance de leurs plateformes streaming ne suffit, pour l’instant, pas à compenser cette chute. Des plateformes de streaming qui constituent d’ailleurs un inventaire tout trouvé pour adresser cette nouvelle cible. 

Car si la TV linéaire était bon marché, ramenée au coût contact, le ticket d’entrée est trop élevé pour une bonne partie de la longue traîne. Ce n’est pas le cas de TF1 +, M6+ et consorts, qui permettent de lancer des campagnes de quelques milliers d’euros. Tout comme d’ailleurs un autre produit pensé pour les annonceurs plus locaux : la TV segmentée. 

De quoi redonner des ambitions aux broadcasters quant à sa capacité à adresser la longue traîne. “Je pense qu’à terme, on sera au-delà des 30% de notre revenu publicitaire réalisé via cette mid-tail”, estimait récemment Philippe Boscher, head of digital sales marketing chez TF1 Pub, dans le podcast Adtech Refresh

Et d’en dire un peu plus à ce sujet : “Je pense qu’on a un territoire à couvrir, peut-être pas auprès de la longue traîne à proprement parler, mais auprès d’une mid tail qui a des moyens et un réseau de distribution, même s’il n’est pas à l’échelle nationale.” 

Sans doute. Mais pour capter cette cible, encore faudra-t-il lever quatre verrous majeurs : la complexité des interfaces d’achat, l’absence de preuves de performance, le coût de production des créas et un marketing de l’offre encore balbutiant. 

Quatre verrous dont on vous parle en détail ci-dessous.

1. Repenser l’interface d’achat 

Le succès de Google et Meta auprès des PME, c’est d’abord celui de l’expérience utilisateur. Elle est pensée pour une population qui n’a que très peu d’expertise média, comme c’est le cas de la plupart des patrons de petites entreprises. L’idée : on renseigne un budget, un KPI cible, on sélectionne ses environnements médias, on uploade ses créas pubs et on laisse les algorithmes faire le reste. 

Si les principales régies Bvod se sont ouvertes au programmatique pour faciliter l’accès à leur inventaire, elles n’ont, pour l’instant, pas été assez loin dans le choc de simplification. Si vous êtes une PME et que vous voulez acheter l’inventaire streaming d’une chaîne de TV, vous avez aujourd’hui deux options (je mets volontairement de côté le gré à gré).

La première, c’est de passer par un DSP, type DV 360 ou The Trade Desk. Problème, c’est compliqué, voire impossible, d’accéder à ces outils lorsque vous dépensez moins d’un million d’euros par an en programmatique. 

Sans compter que ces outils, qui ont été pensés pour une population, les traders en agence, qui a des besoins hyper spécifiques et pointus, ne sont pas à la portée du premier venu. “Bon courage au non initié qui voudrait s’y frotter”, s’amuse un trader en agence. 

Cette complexité est d’autant plus problématique qu’elle n’est, en réalité, pas nécessaire pour un marché comme celui de la CTV. “Vous n’avez pas besoin d’un DSP pour une campagne de vidéo en ligne qui n’utilisera pas 90% de ses fonctionnalités”, estime Maxime Cerda, le cofondateur de Stamp, une plateforme qui veut lancer le Google Ads de la CTV.

Les géants de la Bvod l’ont bien compris, qui ont (quasiment) tous lancé une interface pensée pour les besoins de cette population. TF1 a sa Box Entreprises, France TV a son Adspace Entreprises… La promesse est la même que celle de Meta et Google : diffuser sa campagne, en quelques clics, à partir de quelques milliers d’euros. 

Rien à redire donc, à ceci près qu’il est évident qu’un patron de PME ne peut pas perdre son temps à utiliser autant d’outils qu’il n’y a de régies. Sans compter que cela dilue ses budgets médias d’autant.

“Le marché attend une interface centralisée, simple, intuitive – à la manière de ce que proposent déjà des acteurs américains comme Vibe, Mountain ou TV Scientific”, observe un connaisseur du secteur. Et, tant qu’à faire, une interface qui permettrait de coupler inventaire streaming et TV segmentée (pour revaloriser le linéaire auprès des PME).

Ca n’existe, pour l’instant, pas en France. Notamment parce que ce qui pourrait être perçu comme une entente entre concurrents, laisse peu de marge de manoeuvre aux broadcasters pour s’organiser eux-mêmes. Le produit qui s’en rapproche le plus est TV Retail Connect, la marketplace lancée par FranceTV Publicité, M6 Pub et RMC BFM Ads (TF1 Pub devrait bientôt en être), pour faciliter l’activation de la data Unlimitail au sein de l’inventaire de ces broadcasters. Une initiative de ce genre, qui se cantonne à la TV segmentée, gagnerait à s’ouvrir au streaming. 

Outre Atlantique, on peut citer la plateforme Universal Ads, lancée par Comcast avec une dizaine d’acteurs de la Bvod - Svod aux Etats-Unis, qui devrait faire son apparition en Europe dans les prochains mois. Plus proche de nous, RTL Ad Alliance a lancé son Ad Manager, qui regroupe l’inventaire TV segmentée et streaming de plusieurs acteurs européens (M6 Pub en fait partie).

En France, on peut également mentionner Julien Boyreau, un ancien de TF1 Pub qui veut démocratiser la pub TV auprès des PME via son entreprise Ma Boîte à la Télé et qui prévoit de lancer sa plateforme self-service en juin prochain.

2. Un marketing de l’offre à muscler

Ces deux offres, Universal Ads de Comcast et Ad Manager de RTL Ad Alliance, vont faire face au même défi : se faire connaître de la longue traîne. Pas une mince à faire. Autant c’est relativement facile de gagner en notoriété auprès des agences médias, puisque votre marché se résume à une centaine d’entreprises par pays…

Autant c’est une autre paire de manches que de cibler les PME, puisqu’on est, dans ce cas de figure, sur un marché de plusieurs dizaines de milliers d’entreprises et qu’on est, dans cet ordre de grandeur, dans des problématiques de campagnes pubs BtoC. Avec les budgets qui vont avec.

“Sans compter qu’entre une PME d’artisanat et une PME ‘start-up’, comme Asphalte, il n’y a pas grand- chose à voir”, illustre Julien Boyreau.

Même Google et Meta ont mis plusieurs années à construire leur notoriété et leur business sur cette cible. A coup de campagnes d’awareness nationales (TV, print et digital) et d’opérations de field marketing en régions pour compléter le discours. Le chantier est titanesque. Il y a bien sûr quelques “raccourcis”, comme celui pris par Vibe, qui s’est spécialisé dans les SMB aux Etats-Unis.

L’adtech fondée par Arthur Querou et Frank Tetzlaff a pris un autre angle d’attaque en construisant son tunnel d’acquisition sur Google, à coups de campagnes SEA sur des requêtes comme “buy TV ads”. Reste à voir si cela pourrait marcher en France. 

Cela impliquerait, en tout cas, que les broadcasters recrutent des spécialistes de l’acquisition digitale. Cela impliquerait aussi qu’ils revoient un peu leur organisation et les compétences qu’ils recrutent. “Ne serait-ce que parce que le métier historique d’un vendeur en régie, c’est de négocier avec un acheteur en agence. Chose que vous ne retrouvez pas quand vous vous adressez aux PME”, note un connaisseur du marché.

“Au-delà du sujet du reach, il y a aussi celui de la pédagogie : comment expliquer qu’un spot TV peut être accessible, pilotable, mesurable”, souligne Emmanuel Crego, DG de Values.media. Qui pour porter ce message en régions ?

On peut citer l’exemple de TF1 Pub qui a récemment noué un partenariat avec LeBonCoin, dont les équipes commerciales poussent l’offre de TV segmentée de la première chaîne sur le terrain. “Ou encore l’association Les Relocalisateurs, qui milite en faveur d’une relocalisation des achats médias”, complète Julien Boyreau.

3. Montrer des (vraies) preuves de performance 

Résoudre le sujet de l’expérience d’achat ne serait qu’une première étape. L’autre sujet, c’est celui du KPI, c'est-à-dire les résultats que les broadcasters vendent à l’annonceur. 

Autant dire les choses d’emblée, un petit annonceur ne se satisfera jamais d’un coût GRP ou d’un CPM attentif, deux des KPI à partir desquels les acheteurs TV historiques optimisent leurs campagnes (en linéaire pour le premier, streaming pour le second). 

“100% des SMB achètent à la performance”, rappelle Julien Boyreau qui estime que “l’essor du self-service est d’abord le fruit de la capacité des grandes plateformes à générer tellement de business qu’elles en deviennent incontournables.”

“Le gros des investissements médias des PME vont vers des médias de trafic, que ce soit en Web, avec Google et Meta, ou offline, avec le DOOH notamment”, complète Emmanuel Crego.

Les PME achètent du résultat. Déjà parce que c’est leur argent (contrairement à l’expert en agence média) et qu’en plus elles n’en ont pas toujours beaucoup. Elles veulent des preuves tangibles de l’impact de leur campagne sur leur business, comme le font Google ou Meta avec leurs outils de conversion post-view. Et tant pis si les résultats communiqués sont, en réalité, plus que discutables (ou en tout cas qu’aucun tiers n’en a vérifié la véracité). L’important, c’est que ça soit là… et que ça rassure. 

Des plateformes comme Vibe, Mountain ou TV Scientific l’ont bien compris, qui sont capables de relier dans leur interface de reporting un nombre d’expositions publicitaires à un nombre de conversions sur sites (via la dépose de pixel de tracking sur le site de l’annonceur et un matching avec l’adresse IP).

Ce changement de paradigme oblige les régies à sortir de leur ADN historique, souvent tourné vers des indicateurs média plutôt que business. “On ne leur demande pas de vendre à la conversion, comme le font Meta et Google, mais a minima de faire de l’attribution post-view”, déclare Julien Boyreau. 

Lequel reconnaît néanmoins que “c’est moins évident à mettre en place en France, où l’existence du RDPG, couplée à la mainmise des boxes sur l’écosystème CTV, ont fait de l’adresse IP, une denrée rare.”

D’où l’intérêt, peut-être, de se tourner vers une autre pratique issue du digital, déjà mise en place par Youtube dans l’environnement CTV mais de manière adaptée à ce média, le post-clic.

“On clique OK sur la télécommande lorsque l’on est exposé à une publicité et on reçoit un message sur son mobile ou sur son mail, selon la manière avec laquelle vous êtes identifié, pour finir son achat une fois que vous n’êtes plus dans le contexte vidéo”, résume Julien Boyreau.

L’expert collabore avec la technologie Broadpeak pour déployer cette technologie “Click2” chez certains broadcasters alors que TF1 Pub a, de son côté, déployé une fonctionnalité propriétaire de ce genre (et devrait la commercialiser très prochainement).

4. Le casse-tête de la création publicitaire

C’est aussi là que le bât blesse du côté de la Bvod. Dès qu’on leur parle de télé, les PME pensent : “spot à produire”, “avis ARPP”, “gros budget”. Et elles fuient. “L’écran TV peut vite faire peur à certains annonceurs qui préfèrent, du coup, se tourner vers Youtube”, observe Thomas Allemand, VP adtech chez Jellyfish.

Ma boîte à la télé a essayé d’industrialiser le processus au maximum, pour abaisser cette barrière à l’entrée, sans pouvoir néanmoins aller plus bas que 1 600 euros par tournage. “A l’échelle de la TV ce n’est rien… mais ça reste encore trop pour beaucoup d’entreprises”, constate Julien Boyreau. 

A court terme, on peut penser que la reprise des assets 9/16e produits par ces marques pour TikTok et consorts peut servir de pont. On en voit de plus en plus en (C)TV, adossés à un habillage 16-9e aux couleurs de la marque.

A plus long terme, la solution se trouve sans doute du côté de l’IA générative, alors que des plateformes comme Arcads, Streamr.aI ou Waymark promettent, dès aujourd’hui, de générer des spots vidéos de 20 secondes pour quelques dollars. “On est plus sur du diaporama animé qu’un vrai spot vidéo mais c’est hyper prometteur”, estime Julien Boyreau.

Ici encore, on peut regarder du côté des Etats-Unis, pour voir comment les acteurs de la Bvod pourraient se positionner. Prenons Vibe, qui a récemment lancé une fonctionnalité qui permet de générer un spot TV à partir des informations (logo, packshots, visuels, URL) que vous lui avez partagés. 

“Tout, à commencer par le script, la musique et la voix, est généré par une IA. Nous récupérons seulement les images présentes dans le listing Google My Business de l’annonceur”, précisait son fondateur, Arthur Querou, dans le podcast Adtech Refresh. 

La fonctionnalité est aujourd’hui activée pour une dizaine de pourcents des campagnes de la plateforme. “On a récemment un client qui a lancé une campagne à 100 000 dollars avec cet outil là”, a illustré Arthur Querou.

Se posera une dernière question : comment intégrer cette nouvelle population sans heurter au positionnement historique de la TV, qui est d’offrir aux annonceurs un environnement hyper premium. “Ils ne sont pas là pour gagner des prix à Cannes”, prévenait Arthur Querou lorsqu’on l’interrogeait sur la manière qu’ont les PME de penser leurs spots publicitaires. 

Cela risque de poser problème à tous ces annonceurs qui sont très vigilants sur le contexte d’insertion. Vous en doutez ? Un ancien de régie broadcaster  me partageait cette anecdote concernant le patron d’un groupe de luxe, qui avait l’habitude de réunir quelques proches lors des soirs de première de ses plus beaux spots TV. Et qui n’a pas manqué, “un brin agacé”, d’appeler le patron de la chaîne en voyant que son spot était suivi de celui de… Père Dodu. 

Cette notion d’écrin publicitaire fait effectivement partie d’une des principales promesses de la Bvod qui, pour contenter tout le monde, devra sans doute apprendre à segmenter son inventaire : avec quelques emplacements réservés aux annonceurs les plus premiums et des offres accessibles à tous, full programmatique, mais sans garantie de contexte. Dès lors, bien sûr, que la créa valide l’étape ARPP.

C’est le dernier obstacle à l’arrivée des PME en TV : l’obtention de l’avis ARPP (obligatoire pour les plateformes Smad). Bonne nouvelle, le processus s’est pas mal accéléré, ces dernières années, en même temps qu’il s’est automatisé.

“Le principal écueil, de mon expérience, c’est plutôt la régie, qui impose pas mal de points de contacts niveau modération”, observe un acheteur. “Cette bascule est évidemment technique mais elle est surtout humaine”, complète Emmanuel Crego.