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IA & programmatique : évolution, révolution ou mirage ?
S’il y a bien deux buzzwords qui auront marqué 2025, ce sont la CTV et l’IA.
La CTV, nous en avons déjà parlé dans un article précédent sur Open Garden (qu’on vous invite à lire si ce n’est pas déjà fait).
Parlons donc de l’IA.
Il y a maintenant trois ans, ChatGPT a impressionné la planète entière et ouvert la voie à la révolution IA. Les LLM sont désormais entrés dans les usages du grand public puisqu’en septembre 2025, ChatGPT était le cinquième site web le plus visité de France (source : Similarweb).
Forcément, face à un tel shift technologique, l’IA s'intègre progressivement dans toutes les industries. Mais qu’en est-il de notre écosystème programmatique ?
Pour résumer l’IA en 2025 dans le programmatique : « Tout le monde en fait, et tout le monde en parle. »
Il faut dire que, comme il s’agit d’un terme générique, vous pouvez à peu près tout transformer en « IA ».
« Algorithme ? », « Lookalike ? », « Automatisation ? », « Machine Learning ? »
→ « Non, non, non, c’est de l’IA ! »
Et hop, vous avez mis le doigt dans l’engrenage de l’IA-washing. Bon nombre d'entreprises de l’adtech essaient de vendre de « l’IA » à toutes les sauces et on tombe assez vite dans le phénomène d’IA-washing.
Recentrons donc le débat sur ce qui fascine vraiment quand on parle d’IA appliquée au programmatique : le Graal de l’automatisation, le « prompt-to-campaign ».
Le principe est simple : le media trader renseigne son brief dans une fenêtre de chat, et l’IA lui crée de toutes pièces sa campagne publicitaire, et s’occupe aussi du pilotage et du reporting.
La promesse est séduisante, presque crédible tant on est bluffé à force d’utiliser les GPT & cie.
Mais la gestion complète des campagnes par l’IA est-elle une réalité ou un mirage ?
Pour répondre à cette question, il y a plusieurs éléments à considérer :
Prompt-to-campaign : où en est-on concrètement en 2025 ?
Quelles sont les opportunités réelles ?
Quelles sont les limites ?
Quel sera l’impact des protocoles agentiques comme ADCP ?
Quel va être l’impact pour le métier de media trader ?
Autant de questions que nous allons creuser ensemble :
En 2025, où en est-on du prompt-to-campaign ?
Depuis le début de l’année, il y a eu des annonces et mouvements ambitieux à l’échelle internationale en ce sens :
Février : Scope3 frappe un grand coup médiatique en étant le premier à annoncer l’arrivée de « l’agentique » dans le programmatique.
Avril : Google annonce une IA capable de créer une line DV360 à partir d’un simple prompt.
Octobre : un consortium d’adtechs programmatiques (dont Scope3) annonce vouloir créer un nouvel écosystème publicitaire, complètement indépendant du protocole OpenRTB, basé sur les protocoles d’échange IA : ADCP.
Novembre : Amazon intègre officiellement l’IA dans son DSP. Et en parallèle, l’IAB annonce son propre protocole pour ajouter des agents dans la chaîne programmatique : ARTF.
2025 aura donc surtout été marquée par les annonces : le prompt-to-campaign est encore marginal dans les usages. Les principaux DSP du marché, DV360 et TTD, n’ont toujours pas sorti de features révolutionnaires, seul Amazon, côté DSP, accélère sur le déploiement alors que, du côté SSP, on y voit l’occasion de se rapprocher du buyside, en témoignent les agents lancés par des acteurs comme Equativ, Dailymotion, C Wire ou encore Olyzon.
Nul doute que 2026 sera l’année des tests à grande échelle.
Dans quels cas l’IA impressionne ?
Il y a deux scénarios courants de la vie d’un trader dans lesquels le prompt-to-campaign peut apporter une vraie valeur ajoutée :
Set-upper un plan média et un reporting : des étapes chronophages, mécaniques et encore souvent exécutées manuellement. Pour automatiser des procédures clairement définies, l’IA est beaucoup plus rapide que l’humain.
Optimisations : pour effectuer des variations de stratégies de bidding sur des milliers de combinaisons de placements × devices × formats × environnements × segments, la machine reste imbattable.
C’était déjà le cas avec les algos, mais l’agentique peut aller encore plus loin, comme le rappelait Raphael Ambit, CTO d’Alliance Digitale, dans un article publié sur Open Garden.
Bref : dès qu’il s’agit d’automatiser ou de traiter des masses de données, les IA seront bien plus rapides que les humains.
Comme les agences se sont lancées dans une guerre de prix pour séduire les annonceurs, les gains d’automatisation promis par le prompt-to-campaign sont trop alléchants pour être ignorés. Le prompt-to-campaign devrait donc naturellement s’imposer rapidement dans l'écosystème programmatique pour réduire les coûts, dès que les DSP mettront à disposition la feature.
Mais voilà : dans le programmatique, l’automatisation n’est jamais toute l’histoire. Et c’est là que commence le mirage IA.
Les IA sont d’excellentes exécutantes, mais sont-elles de bonnes conseillères ?
Eh bien… ça dépend : vous l’avez tous déjà ressenti, si vous posez une question courte, non détaillée, à un LLM type ChatGPT, il aura tendance à vous faire une réponse… courte et peu détaillée. Bref, un peu bateau.
Pourquoi ? Deux raisons :
Il ne devine pas le fond de votre problème.
Anticiper votre besoin précis lui coûterait plus cher en frais d’infrastructure. Les IA arbitrent constamment entre précision et efficacité énergétique.
Le problème, c’est que quand vous investissez en programmatique, une recommandation bateau peut vite coûter cher à l’annonceur…
Si vous envoyez un brief classique du type : « J’ai 50 k€ de budget, deux semaines de campagne, je veux maximiser ma visibilité sur l’audience X », il est peu probable que l’IA vous propose d’elle-même de :
Optimiser au-delà de la visibilité, par exemple sur le screenshare ou l’attention.
Recommander les formats réellement pertinents (ex. : habillage sur desktop, interstitiel mobile ou 300 × 250 mobile uniquement).
Challenger la pertinence des segments proposés dans les marketplaces ou par les éditeurs (les IA analysent le nom des segments mais ne vont pas vérifier la source de collecte).
Adresser les audiences cibles en dehors de l’inventaire « Chrome + consentement OK » (c.-à-d. tous les inventaires sans consentement où le ciblage ID est impossible, ou les inventaires Safari par exemple).
Bloquer les sites/sous-domaines MFA (identifier et bloquer les « sapins de Noël » des éditeurs à fort volume et faible valeur).
Réduire les layers inutiles en faisant du SPO (l’IA n’a pas encore le réflexe de dégraisser les routes d’enchères pour économiser les fees).
Or, ce sont précisément ces détails - ces zones grises, ces arbitrages complexes - qui font la différence entre une campagne programmatique “bateau” et une campagne réellement performante.
Bref : à date, l’IA n’est pas un media trader, c’est un exécutant. Un exécutant ultra rapide… mais un exécutant quand même.
Autre sujet d’importance : qui paie la facture en cas d’erreur ?
Le très gros point faible des LLM, aujourd’hui encore, c’est le phénomène d’hallucination. Un LLM peut parfois répondre par une erreur. Se posera donc à un moment donné le sujet de la responsabilité.
Comme on parle de plusieurs centaines de millions d’euros investis tous les ans en programmatique sur le marché français, même si l’IA ne se trompe que dans 1% des cas, la facture peut vite être salée…
Preuve en est : aux États-Unis, suite à des procès mettant en cause les réponses erronées des chatbots sur les sites de compagnies aériennes, les assureurs ont demandé au régulateur l’intégration d’exclusions spécifiques couvrant les risques de l’IA.
Un contrôle humain est fortement recommandé pour limiter les risques.
Quel avenir pour les media traders ?
Le prompt-to-campaign va forcément s’imposer, et transformer le métier des media traders. Les gains en automatisation seront tels qu’il y aura forcément un impact sur l’emploi.
Cependant, il faudra toujours des traders expérimentés pour :
Définir les grandes lignes de la stratégie d’investissement
Challenger les partenaires et les recommandations de l’IA
Déjouer les pièges de l’Open Web
Limiter les risques d’hallucination
Le métier de media trader devrait en toute logique évoluer vers celui de conseiller / superviseur d’IA.
Reste tout de même en suspens la question de l’avenir des profils juniors. Impossible de pérenniser l’écosystème sans miser sur la formation des jeunes, et malheureusement ce seront les premiers impactés par le déploiement du prompt-to-campaign, car challenger les IA demandera un certain niveau d’expertise.
Et qu’en est-il des protocoles agentiques comme ADCP ?
ADCP a beaucoup fait parler, car le projet est ambitieux : recréer entièrement un nouvel écosystème publicitaire basé sur des agents IA.
Exemple : un agent IA acheteur récupère le brief de l’annonceur, interroge un agent IA éditeur / ad network pour faire son media planning, et l’achat est quasi 100 % automatisé.
L’approche a le mérite d’être intellectuellement intéressante, mais il reste encore des zones d’ombre :
Comment va se gérer la facturation entre agent acheteur et agent éditeur ? (un à un ?)
Comment gérer la fluidité des segments d’audience 3rd party ?
Le système semble être basé sur du déclaratif : qui va contrôler que l’agent de l’éditeur ne gonfle pas ses volumes pour vendre plus ?
Et surtout : cela ressemble surtout à un changement de tuyauterie, on remplace les DSP et SSP par des agents.
Alors oui, cela va s’en doute rendre l’écosystème un peu plus accessible (les DSP étant, eux, affaire d’experts). Mais pas sûr que cela soit suffisant, pour autant, à redonner tout son attractivité à un secteur dont les problèmes ne viennent pas que de la tuyauterie.
Est-ce que ce n’est pas plutôt les formats moins bien intégrés, la qualité des segments d’audience, le manque de login, etc. ?
Conclusion
Même s’il y a beaucoup d’IA-washing en 2025, la vraie révolution IA viendra du prompt-to-campaign qui devrait se généraliser en 2026 et faire basculer les usages sur le media trading.
À l'heure où les grandes plateformes publicitaires comme Google, Meta et Amazon accélèrent sur le déploiement de l’IA et l’automatisation à outrance, c’est une bonne nouvelle pour limiter les écarts entre les plateformes et l’Open Web. L’IA programmatique n’est pas un mirage : elle va apporter des gains concrets, en diminuant le temps humain nécessaire sur les tâches fastidieuses (ex. : set-up, reporting, optimisations à grande échelle).
Le mirage, par contre, c’est d’imaginer qu’elle pensera à votre place, comprendra la finesse d’un marché, déjouera les pièges et détectera les angles morts sur des briefs imprécis.
En 2026, plus que jamais : les IA programmatiques feront plus rapidement et à plus grande échelle ce que vous faites déjà bien… mais elles ne feront pas à votre place ce que vous avez oublié de prendre en compte.