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Pourquoi il faut redonner ses lettres de noblesse au display Open Web
Le Cercle Programmatique est une initiative indépendante lancée en 2025, qui réunit chaque mois, les responsables trading et experts du programmatique des principales agences média françaises.
Notre mission : créer un espace de débat libre et constructif sur les enjeux majeurs du secteur, loin des discours marketing et des effets d'annonce.
Notre méthode : des sessions de travail collaboratives entre praticiens expérimentés, suivies de la publication d'articles collectifs reflétant nos positions communes.
Notre ambition : redonner une voix crédible et indépendante aux experts terrain du programmatique français, au service d'une industrie plus mature et transparente.
Premier sujet sur la table : le display programmatique. Trop vite enterré, souvent mal compris, il mérite qu'on s'y attarde avec le regard de ceux qui enchérissent tous les jours.
Sept experts ont accepté de partager leur vision terrain. Leurs retours convergent sur un constat : le display open web souffre moins d'obsolescence technique que d'un déficit de mesure et de perception.
Des atouts méconnus
Contrairement aux idées reçues, le display open web révèle des atouts uniques qui le distinguent des walled gardens. L'environnement quasi illimité qu'il propose offre des capacités d'optimisation supérieures et une autonomie totale sur le trading grâce aux outils tiers permettant contrôle, exclusion, attention et viewability.
Cette transparence contraste radicalement avec l'opacité des plateformes fermées où les annonceurs subissent des algorithmes dont ils ne maîtrisent ni les mécanismes ni les critères.
Le display open web présente quatre atouts majeurs :
son prix compétitif, qui peut être jusqu’à 30% moins élevé que chez les walled gardens, et la flexibilité du trading qu'il autorise, permettant un contrôle granulaire impossible sur les plateformes fermées
ses formats impactants et bien intégrés qui offrent une part importante de l'écran avec des possibilités créatives étendues (il faut toutefois faire preuve de vigilance concernant l’emplacement de diffusion, qui ne doit pas être saturé de publicité autour)
le reach incomparable, parfait pour cibler les utilisateurs lors de moments de vie spécifiques
la liberté laissée aux utilisateurs dans le choix de leur expérience de navigation se traduit très souvent par un public plus expert, animé par une véritable intention de découverte, et générant un trafic de qualité non négligeable.
Le défi de la conviction client demeure néanmoins important. Il reste compliqué de pousser le display aux nouveaux clients qui privilégient la CTV, les walled gardens et YouTube. La confiance que les annonceurs accordent aux agences dans leur savoir-faire trading constitue souvent le levier décisif pour ouvrir la porte à un premier test, représentant généralement 10 à 15 % du budget total.
Ces activations permettent de challenger concrètement les performances des walled gardens. L’argument différenciant réside alors dans la profondeur des inventaires, le vaste choix d’option de ciblage et la diversité des audiences de l’open web, qui convainquent fréquemment les clients de franchir le pas..
Pourtant, le consensus est clair : le display reste puissant et complémentaire aux walled gardens, mais uniquement lorsqu'il est acheté correctement. C'est un levier aux champs du possible quasiment illimité qui nécessite d'avoir un niveau d'expertise très élevé.
Une complémentarité sous-estimée
Loin d'être isolé, le display open web joue un rôle de colonne vertébrale dans l'écosystème digital. Sa synergie avec le Search s'avère particulièrement probante : il nourrit le top of mind et améliore mécaniquement le CTR des requêtes Search tout en contribuant indirectement au SEO.
Les études internes de certaines agences montrent une amélioration de 15 à 30% des performances Search quand le display est activé, même si les outils d'attribution ne captent pas ces synergies.
La complémentarité avec le Social mérite également d'être soulignée. Quand le social sature, le display permet d'aller chercher du reach incrémental et de la performance complémentaire.
Les exemples concrets abondent : un cas opticien avec une forte contribution du display au bas de funnel via du trafic qualifié, ou encore le secteur automobile où le display se montre souvent plus performant que le social en termes de temps passé.
L'approche stratégique évolue vers l'utilisation du programmatique pour faire le pont entre branding et performance, positionnant le display sur le midfunnel. Cette évolution impose de légitimer ce positionnement grâce à des outils de mesure fiables — attribution, contribution, et modèles de type Marketing Mix Modeling (MMM) — permettant d’évaluer la performance de manière cross-channel.
Une campagne display Open Web bien pilotée a la capacité de générer un engagement site-centric à un coût très raisonnable, ce qui constitue bien souvent un atout majeur lorsqu’on cherche le bon équilibre entre volume et qualité.
Quelle stratégie d’achat ?
L'arbitrage entre volume et qualité révèle deux philosophies distinctes. D'un côté, l'école "qualité first" privilégie systématiquement la qualité avec peu de volume, se limitant volontairement à 200-500 sites maximum et montrant souvent une performance réelle meilleure sur l'inventaire sélectionné.
De l'autre côté, l'approche pragmatique équilibre volume et qualité selon les KPIs, reconnaissant l'utilité du volume en phase de prospection tout en maintenant un travail régulier d'exclusions de domaines de qualité douteuse. À noter que lors des phases de retargeting, les annonceurs se montrent généralement suffisamment matures pour valider une ouverture significative de l’environnement de diffusion.
La complexité de l'optimisation display fait consensus : elle s'avère supérieure au search et au social due à la multiplicité des paramètres à gérer, la dépendance aux créatives et à l'environnement, l'absence de standardisation de la fraude (écarts de 20 à 30% entre outils), et la richesse des signaux disponibles avec plus de 150 signaux dans une bid request contre 10 à 15 sur les autres plateformes.
Le problème de la mesure
La question de la compétitivité du display sur les KPIs bas de funnel révèle le plus gros point de friction identifié. Le problème ne réside pas dans la performance intrinsèque du display, mais dans les modèles de mesure qui créent un biais systémique défavorable.
Le problème ne réside pas dans la performance intrinsèque du display, mais dans les modèles de mesure qui créent un biais systémique défavorable
L'attribution last-click favorise mécaniquement le Search au détriment du Display, les fenêtres de view-through ridiculement courtes de 24 heures contrastent avec les cycles d'achat réels de 7 à 30 jours, et les clients appliquent souvent des règles différentes selon les leviers.
La réalité terrain contredit ces mesures biaisées. Les tests incrémentaux montrent régulièrement que le display figure souvent en première position en ROAS réel quand la mesure devient objective. Les modèles MMM révèlent systématiquement que le display tient sa place en termes de performance. Un display sur une whitelist de 50 sites s'avère plus performant que de la long tail algorithmique, mais cette valeur n'est pas correctement mesurée par les outils traditionnels.
L'évolution vers les listes d’inclusion
Pour assurer un contrôle constant de l’environnement de diffusion, les annonceurs privilégient de plus en plus les listes d’inclusion aux blocklists. Ces WL sont élaborées conjointement avec l’annonceur afin de garantir performance et brand safety. Elles doivent toutefois être régulièrement enrichies avec de nouveaux éditeurs qualitatifs et performants.
Cette “chasse aux pépites” passe par des phases d’ouverture volontaire, où l’algorithme explore de nouveaux environnements avec un budget limité (5 à 10 % du total). Certains s’appuient sur les données Médiamétrie, d’autres créent des ad groups dédiés en inversant temporairement la liste d’inclusion en liste d’exclusion pour forcer la découverte de nouvelles sources.
L'optimisation suit une méthodologie structurée : clarification du KPI prioritaire, apprentissage algorithmique de quelques jours, puis hiérarchisation des optimisations par ordre d'impact (device/OS, temporal, géographie, supply path). Les créatives nécessitent des tests réguliers en évitant la surpondération des formats au CTR artificiellement élevé.
Data et qualité : les nouveaux enjeux
La hiérarchisation des types de données révèle des disparités importantes. La retail media data (Amazon DSP, Criteo) se positionne en tête avec 40% d'amélioration versus les données génériques, grâce à la qualité des signaux d'achat et l'intentionnalité des audiences.
La first-party data présente une forte valeur théorique mais souffre de difficultés d'exploitation pratique, se révélant intéressante pour le retargeting ou la création de lookalikes. Les audiences tierces suscitent un scepticisme croissant, le surcoût au CPM étant rarement justifié par le lift de performance.
La corrélation entre qualité d'inventaire et performance, bien que perçue intuitivement, n'a jamais été totalement prouvée scientifiquement. Les observations terrain suggèrent néanmoins une relation positive : les emplacements premium montrent un taux de conversion 2 à 3 fois supérieur avec une viewability de 85% et plus, contre 45 à 60% sur le reste de l'inventaire.
La question des cookies : un faux problème ?
La disparition progressive des cookies tiers révèle un faux problème pour un display bien exécuté. Plus de 60% de l'inventaire fonctionne déjà en mode cookieless via Safari, modes privés et autres restrictions. Les initiatives concrètes demeurent paradoxalement limitées : les tests d'identifiants alternatifs se révèlent non concluants, la prolifération d'IDs crée une fragmentation pire qu'avant, et les taux d'opt-in trop bas (5 à 15%) réduisent drastiquement le reach effectif.
La position majoritaire considère que la disparition des cookies n'est pas une priorité immédiate, les budgets se portant davantage sur la CTV et la vidéo. Cette approche pragmatique reconnaît une adaptation naturelle de l'écosystème aux nouvelles contraintes.
Les défis à relever
Le display open web se trouve à un carrefour décisif, confronté à un triple défi : standardisation industrielle, mesure obsolète et responsabilité des acteurs.
Le problème fondamental de la mesure empoisonne tout l'écosystème. L'attribution last-click, vestige d'une époque révolue, crée un biais systémique qui fausse toutes les analyses de performance. Les fenêtres de view-through inadaptées aux cycles d'achat réels rendent impossible une évaluation juste de la contribution du display. Cette mesure archaïque devient le principal obstacle à la reconnaissance de sa valeur réelle.
Le travail urgent côté éditeurs constitue le second chantier. La surmultiplication des revendeurs et la course aux revenus ont dégradé l'expérience utilisateur. Le retour des formats intrusifs et la création de pages "made for advertising" éloignent les annonceurs qualitatifs. L'exemple de CMI avec le magazine Elle illustre la voie : l'assainissement de l'environnement par la diminution de l'ad cluster et du taux de refresh, tout en augmentant les CPM, attire de nouveau les annonceurs premium.
La standardisation industrielle sur la fraude et la qualité représente le troisième chantier. L'absence de standards IAB sur la définition de la fraude crée une insécurité opérationnelle. Les écarts de 20 à 30% entre les mesures des différents outils illustrent cette anarchie. L'industrie a besoin d'un acteur capable de normer, d'auditer, et certifier la qualité des environnements.
Les défis sont considérables mais les solutions existent. Comme le résume Clément Saint-Joanis de Molécule Science : "Le plus grand défi du display est de re-démontrer sa valeur".
Rafael Lasnier de Jellyfish évoque une appréhension côté éditeur quant à la montée en puissance des LLMs: . “Du côté des éditeurs, il existe une appréhension concernant une potentielle chute de leur trafic dans les mois à venir. Face à cette baisse éventuelle, il est essentiel d'anticiper, particulièrement en matière de coûts d'acquisition, de qualité média et de positionnement par rapport à d'autres leviers comme le social media”
Antoine Lanneluc de SPN complète : "On a perdu les notions de part de voix sur un seul média et on a voulu s'affranchir des relations avec les éditeurs pour tout automatiser",
Baptiste Pechery de Gamned conclut avec espoir : "Le Display Open Web n'a jamais été aussi pertinent techniquement, mais souffre de 15 ans de mauvaises pratiques que l'on doit gommer pas à pas".
Cette reconstruction patiente mais méthodique constitue la seule voie crédible pour retrouver la confiance perdue. La solution réside dans un effort collectif combinant modernisation de la mesure, responsabilisation des éditeurs, standardisation industrielle et évangélisation par la preuve. Le choix appartient désormais à l'ensemble des acteurs, mais l'urgence de la situation ne permet plus l'attentisme.
Le display open web n'est pas un levier parmi d'autres, c'est le ciment invisible qui lie et amplifie l'efficacité de l'ensemble du mix média, nourrissant le search, préparant les conversions sociales et construisant la notoriété nécessaire à tous les autres canaux. Dans un écosystème où chaque levier tend vers l'hyperspécialisation, le display reste le seul capable de couvrir simultanément l'intégralité du funnel tout en préservant la liberté stratégique des annonceurs face aux algorithmes des plateformes fermées.
Le Cercle Programmatique continuera de porter les sujets clefs lors de ses prochaines sessions, car l'avenir du programmatique français mérite mieux que des discours convenus.
Un grand merci à Alexandre Chanthavong, Clement Saint Joanis, Antoine Lanneluc, Nicolas Brilloux, Rafael Lasnier, Thomas Allemand et Youssef Annabi pour vos précieux témoignages sur ce sujet.