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Optimisation du working media : l’équilibre fragile entre expertise humaine et tech balbutiante
Le Cercle Programmatique réunit, chaque mois, des experts du trading et du programmatique, tous issus des principales agences média françaises. Son ambition : redonner une voix aux praticiens, loin des effets d’annonce et des narratifs commerciaux.
Pour cette nouvelle session, quatre traders expérimentés ont confronté leurs points de vue sur un sujet au cœur de l’efficacité média : l’optimisation du working media. Un terme désormais omniprésent mais dont la mise en pratique révèle une réalité contrastée.
Merci à Allison Sauton (WPP), Dylan Tighidet (WPP), Rafael Da Costa (Havas) et Sébastien Benoit (Publicis) pour leurs retours sans détour.
1. Pénétration sur cible : la promesse d’un reach mesurable reste inachevée
Si tous reconnaissent la nécessité d’optimiser la couverture utile, les outils censés la mesurer peinent à convaincre. Entre les estimations divergentes des DSP, les panels tiers comme Médiamétrie, et les solutions hybrides type Fluzo ou Realytics, le reach reste une donnée de tendance, pas un indicateur de vérité.
Selon un répondant, les écarts entre plateformes peuvent atteindre 30%, rendant impossible toute lecture absolue. Les agences compensent par une approche empirique : croiser les sources, calibrer les plateformes et interpréter les signaux via des IA internes ou des méthodes maison. Mais le coût en temps et en complexité opérationnelle reste élevé.
On sait estimer la portée, mais nous n’avons pas la certitude que 100% des individus touchés sont dans notre cible.
Côté annonceurs, la maturité reste hétérogène : les plus avancés challengent la couverture réelle, tandis que la majorité se limite à suivre leurs KPIs média (CPM, CPV) sans relier ces chiffres à leur cible.
Opérabilité moyenne : 4,6/10 — Maturité annonceurs : 5,8/10
👉 La mesure du reach n’est pas fausse : elle est simplement incomplète. Et tant que les méthodologies resteront fragmentées, elle restera un indicateur d’orientation plutôt qu’un outil de décision.
2. Attribution et incrémentalité : le fossé entre savoir-faire et adoption
Sur le plan théorique, l’industrie ne manque pas d’ambition. Tous les répondants affirment que mesurer l’incrémentalité est essentiel pour juger la vraie performance d’une campagne.
Mais la réalité est plus pragmatique : le last-click continue de régner, par commodité, habitude et pression du court terme.
Tout le monde sait que le last-click est faux, mais tout le monde continue à l’utiliser. C’est pratique, c’est rapide, et ça rassure.
3. Supply Path Optimization : l’efficience silencieuse
S’il est un sujet où le terrain devance la théorie, c’est bien le Supply Path Optimization (SPO). Toutes les agences interrogées le considèrent comme un levier interne essentiel, même si peu d’annonceurs en mesurent la portée.
Les traders décrivent des démarches minutieuses : scraping d’ads.txt, création de “blue lists” de seller IDs directs, contrôle des revendeurs multiples. Ces pratiques peuvent réduire les CPM de 10 à 20% sans perte de reach.
Mais l’exercice reste très peu visible côté client. Le SPO demeure largement une “cuisine interne” : personne ne le demande explicitement, mais tout le monde en bénéficie dans les performances finales.
L’enjeu évolue également avec le marché : l’essor des deals garantis et des environnements curatés rend le SPO moins structurant qu’à l’époque du tout-open auction.
Pour Sébastien Benoit (Publicis), le SPO reste pertinent. “Le SPO reste particulièrement pertinent pour les annonceurs qui misent fortement sur l’open auction et qui sont déjà habitués à gérer des problématiques de supply chain dans leur activité traditionnelle.”
Opérabilité : 6,25/10 — Maturité annonceurs : 2,75/10
👉 Le SPO est devenu une norme invisible du trading bien fait. Les clients n’en parlent pas, mais ses effets se lisent dans chaque CPM optimisé.
4. Réduction du Ad Waste : entre conformité et vigilance humaine
Le sujet du Ad Waste semble désormais relever plus de la conformité que de la conviction. Tous activent IAS ou DoubleVerify mais aucun ne considère ces outils comme infaillibles.
Les ads vérificateurs me disent que tout est propre, mais quand je vérifie à la main, je trouve encore des trucs douteux. Le contrôle humain reste indispensable.
Les écarts entre outils peuvent atteindre 30%, rendant la comparaison presque impossible. Certaines équipes vont plus loin : analyse des redirections, exécution de scripts Python, whitelists maison — autant de réflexes hérités de l’expérience terrain.
Mais ces efforts restent isolés. Les annonceurs, de leur côté, perçoivent la brand safety comme une garantie de base plutôt qu’un enjeu stratégique.
Opérabilité : 3,25/10 — Maturité annonceurs : 2,5/10
👉 La lutte contre la fraude n’est plus un avantage concurrentiel. C’est une ligne de conformité. L’efficacité dépend désormais moins des labels que de la vigilance des équipes.
5. Gestion de la fréquence : le fantasme du contrôle unifié
Le capping cross-channel reste un objectif largement théorique. Des outils de capping unifié proposés certains acteurs existent, mais leur fiabilité dépend encore des signaux d’identification — souvent instables, incomplets ou cookieless.
Les traders reconnaissent des progrès récents mais limités : “Les outils de capping unifié existent, mais leur couverture est encore trop partielle. C’est un garde-fou plus qu’un vrai levier d’optimisation,” résume Allison Sauton (WPP).
Dans les faits, les campagnes continuent donc d’être pilotées en silo, et la fréquence est gérée par device ou par canal, avec très peu de moyens pour réellement la contrôler ou l’auditer.
Même en post-campagne, la mesure du reach et du capping reste fragmentée et incomplète. De nombreuses nouvelles solutions sont apparues depuis 2024, mais elles souffrent soit d’une couverture trop limitée, soit d’une approche encore largement probabiliste.
👉 Le contrôle de la fréquence restera illusoire tant que les plateformes ne partageront pas un identifiant commun.
Conclusion : un écosystème en hybridation
À travers ces échanges, un constat émerge : l’optimisation du Working Media repose autant sur la science que sur l’instinct. Les outils progressent, mais la fragmentation structurelle du digital empêche encore une vision consolidée. Les agences inventent des protocoles maison, les annonceurs réclament des résultats immédiats, et les technologies avancent… à leur rythme.
Le working media devient ainsi un terrain d’hybridation : entre ingénierie et créativité, entre automatisation et intuition, entre discipline et souplesse.
Ce n’est pas un système entièrement automatisé, ni un domaine laissé à l’intuition : c’est un moteur hybride, où la data apporte la puissance et où l’expertise humaine assure la trajectoire.