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Pourquoi Amazon s'inspire (encore) de Google sur le volet pub... et pourquoi il va avoir du mal à faire aussi bien

Et maintenant c’est au tour d’Amazon de lancer son retail media network. Les clients d’Amazon Ads, l’outil qui permet aux marques d’afficher leurs campagnes au sein de l’inventaire Amazon (sponsored product, sponsored video et sponsored brands) se verront désormais proposer d’ajouter des retailers “non Amazon” à leurs campagnes publicitaires.
La nouvelle fonctionnalité, baptisée Retail Ad Service, est adossée à l’offre cloud d’Amazon (AWS) pour garantir aux retailers membres du programme que leurs données resteront à l’abri de celles qu’Amazon utilise pour son propre compte. Elle est encore en “beta” aux Etats-Unis, où le géant de l’e-commerce a communiqué sur ses premiers partenaires : iHerb (compléments alimentaires), Oriental Trading Cie (accessoires pour la fête), Tilly’s (prêt à porter) et Weee! (supermarché asiatique)
Si quelques zones d’ombres subsistent encore, à commencer par le modèle économique (qui de l’acheteur ou du retailer sera facturé ?), le lancement est, à en croire les familiers du géant de l’e-commerce, tout sauf une surprise. “C’est typique d’Amazon de lancer un service interne et de le déployer pour le compte de tiers lorsque celui-ci est arrivé à maturité”, observe le fondateur de Retail4Brands, Lawrence Taylor.
Amazon l’a fait pour son programme de stockage et d’expédition, FBA, tout comme il l’a fait pour son offre cloud, AWS. Cela lui permet de rentabiliser les investissements consentis en interne, tout en renforçant l’attractivité d’un écosystème “100% Amazon” qui 1) rend les clients encore plus captifs 2) favorise le cross-sell via des bundles commerciaux. C’est le B.A.ba de toute grande plateforme qui se respecte.
Ce lancement a d’autant plus de sens qu’il répond également à une autre constante du “playbook” Amazon : s’inspirer de Google. “Sur le volet pub, Amazon c’est un peu Google, mais 10 ans plus tard’, s’amuse un acheteur. Avec cette nouvelle offre, Amazon fait pareil que Google lorsque ce dernier a décidé d’étendre son offre de résultats sponsorisés à des acteurs tiers, comme LeBonCoin à l’époque, en leur proposant de devenir partenaires de son réseau de recherche.
Le search sponsorisé est certes très rentable mais il a un inconvénient de taille : son potentiel de croissance est dépendant du nombre de requêtes effectuées par l’utilisateur. “Ouvrir Amazon Ads à d’autres retailers est un bon moyen de casser ce plafond de verre”, rappelle le cofondateur de Mimbi, Frédéric Clément.
Le récent passage de 4 à 5 emplacements “Sponsored Product” en première ligne chez Amazon s’inscrit dans cette logique (même si on peut aussi y voir le signe qu’Amazon a confiance en la pertinence de ses résultats sponsorisés par rapport à ceux issus de l’organique).
Comme il ne pourra pas augmenter indéfiniment la densité publicitaire (au risque de dégrader l’expérience utilisateur), Amazon s’emploie également à créer des passerelles avec l’extérieur. C’est aussi ce qu’il a en signant un partenariat avec Triplelift, pour déployer ses formats display de manière native chez les publishers branchés au SSP américain.
En ouvrant son offre de sponsored product à d’autres retailers Amazon s’assure que la demande continuera à transiter, quoi qu’il arrive, par ses outils d’achat. Cela lui permet de garder une bonne visibilité sur l’évolution des investissements du secteur, tout en prélevant sa commission au passage. Exactement ce qu’a fait Google… jusqu’à un stade où il s’est régulièrement fait accuser d’abus de position dominante.
L’abus de position dominante, Amazon en est évidemment encore loin. Même s’il capte près de 75% des investissements retail media en Europe, Amazon Ads est peu positionné côté supply, en dehors de son inventaire en propre. Il y a bien son wrapper de header bidding, qui est branché chez nombre d’éditeurs. Mais il est loin de peser autant dans leurs revenus qu’un Google Adex.
Cette nouvelle offre, orientée retailers, lui permettrait de mettre un pied de plus dans la supply. Avec succès ? “Sur le papier, l’offre d’Amazon fait rêver. Dans la réalité, je pense que son marché adressable est plutôt faible en termes de valeur”, tempère un concurrent.
Ce scepticisme, que nombre d’observateurs partagent, tient d’abord à la défiance que suscite Amazon auprès de la plupart des retailers. Un problème que Google n’avait pas (encore) avec les publishers, à l’époque où il a commencé à commercialiser tous ses produits publicitaires.
Les gros retailers, et même le tiers 2, seraient fous d’y aller. Quand bien même c’est tentant d’avoir un complément rapide de revenus.
“Ca va être compliqué pour pas mal de retailers de s’équiper avec la technologie de celui qui est leur plus gros concurrent sur le retail”, reconnaît Lawrence Taylor. Compliqué pour ne pas dire impossible, à en croire ce patron d’une régie retail media français. “Les gros retailers, et même le tiers 2, seraient fous d’y aller. Quand bien même c’est tentant d’avoir un complément rapide de revenus.”
“On ne va pas confier un sujet aussi important que la gestion du retail media à un acteur qui contrôle déjà 75% de ce marché”, prévient un retailer. “Je n’imagine pas une seconde laisser Amazon accéder à mes données de conversions, pour nourrir un algorithme qui lui profiterait, ainsi qu’à celui de mes concurrents qui seraient également utilisateurs de la solution”, ajoute un autre.
Pas une surprise quand on sait que certains gros retailers français interdisent à leurs partenaires techniques de passer par l’offre cloud d’Amazon (AWS)... Une pratique qui n’existe pas aux Etats-Unis, pays plus libéral sur le sujet, mais qui a cours dans d’autres pays européens, notamment ceux d’Europe centrale et du Sud. “Je ne vois que les Nordics, qui sont moins à cheval sur ce sujet”, observe un connaisseur du marché.
Vous l’aurez compris, le marché des retailers les plus matures semble hors d’atteinte. “Les technologies qui équipent cette typologie d’acteurs, comme Criteo, Citrus Ad ou Kamino Retail ont peu de soucis à se faire”, à en croire notre retailer. Qu’en sera-t-il des autres ? Il ne faut, bien sûr, présager de rien. “N’oublions pas qu’Amazon travaille avec Monoprix sur la livraison”, rappelle Lawrence Taylor.
Pour autant, les obstacles restent nombreux pour séduire ces acteurs que l’on va ranger dans la catégorie “tiers 2”. D’abord parce que l’offre d’Amazon sera (dans un premier temps du moins) cantonnée au format “sponsored product”. Format qui, bien que dominant, n’est aujourd’hui qu’une composante parmi d’autres de l’offre retail media des acteurs les plus matures.
“Les retailers ont besoin de monétiser leur inventaire retail media de manière désilotée”, ajoute Frédéric Clément. Sur l’on-site, qu’il s’agisse du sponsored product et du display, sur l’offsite, avec l’extension d’audience, et évidemment sur l’in-store, pour proposer une approche multi-canal.
Difficile de les imaginer pencher pour l’offre retail media d’Amazon tant que celle-ci sera “mono produit”. Bien sûr, rien n’empêche l’Américain à terme, d’y brancher son format vidéo, Sponsored Brand, et d’ouvrir l’accès à la brique “display native” que Triplelift vend au sein de son réseau de publishers. C’est le sens de l’histoire et ce n’est sans doute qu’une question de mois, ou d’années.
Le sujet de la relation commerciale
Mais cela ne suffirait pas à régler un autre sujet critique pour les retailers : la maîtrise de la relation commerciale. “La plupart des retailers ont des relations privilégiées avec les marques susceptibles d’acheter ce genre de format parce qu’elles sont, avant toute chose, leurs fournisseurs”, rappelle le patron d’une régie retail media. Ils seront nombreux à refuser d’être intermédiés sur ce sujet. Qui plus est par celui qui est potentiellement leur concurrent.
“On ne pourrait pas accompagner correctement les clients”, estime un retailer du tiers 2, qui rappelle que le retail media se rapproche progressivement du trade marketing, tout simplement parce que votre flux publicitaire a un impact direct sur les ventes. “Garder la main sur cette activité, c’est être capable de dire à une marque qui a un mauvais ROAS chez vous que son problème est peut être le positionnement prix, la faiblesse de la promotion ou les manques de la fiche produit”, illustre notre retailer.
A défaut de “tiers 1” ou “tiers 2” reste donc le “tiers 3”. Cette typologie de clients qu’on appelle en bon français : la longue traîne. Pour cette cible, c’est une autre histoire. Parce que la concurrence directe est moindre. Mais aussi, et surtout, parce que la proposition de valeur d’Amazon - sa techno et sa demande - a énormément de sens.
“La barrière à l’entrée est tout simplement trop importante pour eux”, confirme un retailer. Le patron de iHerb ne dit pas autre chose lorsqu’il se réjouit, dans le communiqué d’annonce, pouvoir accéder aux milliers d’annonceurs qu’il partage avec Amazon. “Amazon va cartonner auprès de tous ces sites qui veulent aller chercher de la marge supplémentaire, sans avoir les moyens de le faire de manière autonome”, pressent Frédéric Clément.
Des acteurs qui passaient, jusque-là, par des technologies type Kevel, Topsort ou Trygr sur la France. “La vraie cible de cette annonce, ce sont plutôt les tech retail media en brique, qui sont à la mode aux Etats-Unis, comme Kevel ou Koddi”, estime notre retailer. Des technologies qui proposent plusieurs produits en API (sponsored product, display, UI, data science) et dont la modularité leur permet de se positionner auprès de la moyenne - longue traîne.
Plus que Criteo ou Citrus, c’est Mirakl Ads qui pourrait souffrir de ce lancement
“On peut ajouter, dans le lot, Mirakl Ads, dont l’offre est assez similaire à celle d’Amazon”, commente Frédéric Clément. Avec ses forces - Mirakl n’est pas un concurrent des retailers comme Amazon - et ses faiblesses - il n’a, même s’il est bien connecté aux vendeurs de marketplace, pas du tout la même demande sur les vendeurs 1P et les agences médias.
C’est d’ailleurs du côté des marketplaces que se trouve sans doute le plus gros réservoir de croissance de Retail Ad Service. Parce que cette typologie d’acteur, qui ne fait pas d’achat - vente en propre, ne voit pas forcément Amazon comme un concurrent. Et qu’elle verrait d’un bon oeil l’arrivée des nombreux vendeurs 3P du géant de l’e-commerce.
L’intégration de toute cette moyenne - longue traîne, qui pèse pour l’instant peu dans les budgets retail media, serait une bonne nouvelle pour tout le monde. Elle permettrait à des acteurs qui sont “hors du game” d’entrer dans la danse du retail media. Elle permettrait à des acheteurs qui ont, eux, de vrais soucis de productivité de gagner en efficacité.
On parle, dans le jargon, de streamliner la gestion des campagnes : moins d’outils à opérer au quotidien et des campagnes moins silotées. Pas une mince affaire quand on sait à quel point l’écosystème retail media est fragmenté et que c’est, à en croire les marques, l’un des principaux freins à son développement. Rappelons cette statistique d’eMarketer : 55% des marques considèrent que l’absence de standardisation entre les plateformes est le challenge numéro 1 du secteur.
Une bonne nouvelle donc… mais de là à en faire un game changer ? Andréas Reiffen, CEO de Pentaleap, y croit modérément. Le dirigeant de cette technologie retail media s’est livré à quelques calculs, dont il nous partage les détails dans un post LinkedIn où il estime que la nouvelle activité ne devrait pas rapporter plus de 250 millions de dollars à Amazon. Autrement dit une goutte d’eau par rapport aux 50 milliards de dollars que l’activité “retail media” lui rapporte chaque année.
“Le marché adressable est tout simplement trop petit”, nous disait notre retailer anonyme en préambule. Cette opération ne permettra pas, à court terme, de dégager des revenus faramineux. Elle vient, en revanche, alimenter une proposition de valeur qu’Amazon inscrit dans la durée.
Car le lancement de Retail Ad Service a un autre avantage : il permet d’évangéliser des annonceurs moins familiers de l’écosystème Amazon à ses outils publicitaires. Si les premiers retailers partenaires appartiennent à des verticales sur lesquelles Amazon opère, on imagine déjà ce que le géant de l’e-commerce gagnerait à accueillir des acteurs positionnés sur des verticales où il est peu, voire pas présent… et donc moins identifié par le buyside.
“C’est un bon moyen d’attirer encore plus d’acheteurs médias au sein de leurs plateformes”, observe un concurrent. Cela profiterait à Amazon Ads mais pas que…Prime Video Ads pourrait, lui aussi, y gagner en attractivité, en s’intégrant dans une offre full-funnel qu’Amazon pouvait jusque-là surtout proposer à ses annonceurs endémiques. Ce qui achèverait de le positionner comme un géant publicitaire généraliste (c'est-à-dire qui ne se cantonne pas uniquement au retail media).
C’est l’enjeu numéro 1 de la division adtech de l’e-commerçant 2025 : faire de ses solutions publicitaires des produits pris en main par tous les annonceurs, sans exception. En clair, devenir le Google Ads du retail media… et plus si affinités.