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Curated marketplaces : la martingale des SSP ou le miroir aux alouettes des éditeurs ?

Qu’est-ce que la curation ? 

La curation, c’est le fait de packager facilement des inventaires publicitaires display et vidéo, en les couplant à des solutions tierces de ciblage (data, visibilité, attention…) pour les revendre sous la forme de “deals” à des acheteurs qui utilisent un DSP. 

“On appelle broker celui qui va utiliser le siège curator alloué par un SSP pour faire ce genre de packaging”, explique Max Legrand, un ancien de Gravity, qui a cofondé Greyfox Ads, une régie programmatique qui s’est positionnée sur le créneau. 

Il est possible de faire de la curation via un ID partagé, comme ID5, Utiq, FirstID ou le RampID. De le faire sur un ciblage contextuel (Qwarry, Sirdata ou Weborama…), de la data tierce (Exelate, Adsquare, Eyeota…) ou un mesureur (IAS, xpln, Scope3, DoubleVerify).

L’acteur qui va paramétrer le deal dans le curator a deux options : définir un prix fixe ou mettre un floor. “Afin d’éviter de surpayer certains inventaires, c’est plutôt la deuxième option qui est privilégiée”, précise Max Legrand. Le trader, qui est de l’autre côté de la chaîne, n’a, lui, plus qu’à paramétrer le deal convenu dans son outil d’achat, le DSP.

Si ce sont les acteurs que je viens de citer (ad-networks et targeting providers) qui font aujourd’hui l’essentiel de la curation, tout le monde peut en faire en réalité. “Un éditeur peut ouvrir un siège curator pour faire de l’extension d’audience, une agence peut faire de même si elle trouve que son DSP n’est pas assez granulaire et un annonceur peut même en profiter pour monétiser son audience qualitative”, illustre Max Legrand.

Le phénomène est encore balbutiant en France, selon les données Adomik, qui estime que la curation représente à peine 3,7% des investissements programmatiques. Une estimation qui fait débat chez certains éditeurs, qui estime que le phénomène est mal mesuré car souvent noyé dans les revenus open auction.

On reste, quoi qu’il en soit, très loin de la popularité de ce mode d’achat aux Etats-Unis où les deal multi-éditeurs pèsent désormais plus de 70% des revenus programmatiques, selon un récent rapport de Jounce Media.

Pourquoi les SSP font-ils de la curation ?

“Parce que c’est un bon moyen de trouver de nouveaux clients… sans augmenter leur coût d’infrastructure”, explique Max Legrand. Ces derniers ont explosé avec l’essor du header bidding, qui a “déverrouillé” l’accès à l’inventaire des éditeurs. 

Plus besoin d’être partenaire exclusif pour accéder à ce dernier quand on est SSP. Tout le monde peut travailler avec tout le monde. C’est bon pour le chiffre d’affaires de tout le monde mais ça a engendré une explosion du nombre de bid requests envoyés à ces SSP, parallèlement à une baisse du “win rate”, la concurrence étant devenue beaucoup plus forte. 

La marge réelle a, de par cet effet ciseaux, été fortement impactée. Pour y remédier, les SSP ont commencé à faire du “bid throttling”, c'est-à-dire bloquer de manière probabiliste l’écoute des bid requests qui auront peu d’intérêt pour eux. D’autres ont été jusqu’à réduire le nombre de leurs resellers. Même s’il est loin d’être évident de couper des partenaires qui vous apportent 20 à 30% de revenus. 

Tout cela a eu le mérite de raboter les coûts d’infrastructures… mais pas d’augmenter le revenu. Problématique alors que la plupart des SSP ont vu leur business issu de l’open auction souffrir du ralentissement du marché display ces dernières années. 

C’est là qu’intervient la curation, qui présente plusieurs avantages que vous liste Max Legrand. 

1° De nouveaux clients. “Les SSP peuvent s’appuyer sur la force commerciale du curator, qui va évangéliser les agences médias et leur proposer des deals”, illustre Max Legrand. Le curator devient, dans cette configuration, un vrai apporteur de business pour le SSP. Que du bonus !

2° Une marge supplémentaire. “Si un SSP prend entre 10 et 15% de commission en open auction, il rajoute 5 à 15% de frais, facturés à ces clients curators, dans le cadre de la curated marketplace”, chiffre Max Legrand. Non négligeable même si, comme vous allez le voir, plus bas, c’est aussi source de mécontentement du côté des éditeurs. 

3° Limiter la répétition des bid requests. Avant la curation, un SSP qui signait un nouveau partenaire n’avait pas d’autre choix que de lui ouvrir un siège chez lui. Siège qui récupérait les bid requests envoyées au SSP pour faire du deal ID et de l’open auction. Cela créait énormément de doublons : un même SSP écoutait plusieurs dizaines, voire centaines de fois, la même bid request. 

“L’avantage de la curation, c’est que vous réexploitez les flux qui passent déjà, pas besoin de créer de nouvelle bid request”, explique Max Legrand. 

“La curated marketplace, c’est dans un contexte où le moindre bout d’inventaire est présenté 300 à 500 fois aux acheteurs,  un bon moyen d’économiser des frais techniques en prépackageant des inventaires”, résume Federico Benincasa, CPO de Pubstack.

C’est aussi un bon moyen de déplacer le pouvoir décisionnel (et la marge qui va avec) depuis le DSP vers le SSP. La curation n’est que le dernier symptôme de la guéguerre qui oppose DSP et SSP. “Les SSP et les DSP, c’est comme Trump et la Chine, s’amuse un acteur de l’écosystème. Chacun veut nuire à l’autre.”

Le rôle du DSP est simplifié dans un environnement curated, ce qui remet en cause sa valeur ajoutée et réduit sa capacité à prélever des commissions élevées. Les SSP gagnent, eux, en pouvoir économique en même temps qu’ils prennent en charge le ciblage via curation, ils captent davantage de dépenses et peuvent mieux monétiser leur valeur ajoutée (packaging, données, etc.).

Surtout, ils peuvent le faire avec un niveau de granularité qui est hors d’atteinte des DSP, à en croire Julien Gardès, VP business development international de Triplelift. “On peut, par exemple, faire des optimisations au niveau du placement publicitaire (section - format - position dans la page), là où un DSP se cantonne à l’URL.”

“Et on peut profiter de notre connaissance de la supply pour éviter d’avoir des stratégies de ciblage qui ne permettent pas de diffuser suffisamment”, précise Pegah Mofidi, DG France d’Equativ, faisant allusion aux capacités de forecasting de sa plateforme de curation Maestro.

Triplelift proposera des sièges de curation en self-service d’ici la fin de l’année, dans lesquels la data de Triplelift Audiences sera disponible.  D’autres SSP, dont Equativ prévoient, eux, de passer à la phase 2 : permettre à l’acheteur média d’opérer directement son deal depuis le SSP.

Cela permettra aux acheteurs de s’affranchir du DSP et de sa marge… mais cela impliquera d’avoir une technologie de bidding, ce que tous les SSP n’ont pas. Et cela ne répond pas à plusieurs cas d’usages où le DSP reste indispensable, comme le rappelle Max Legrand. 

“Vous aurez toujours besoin d’un DSP pour faire du programmatique garanti, activer des inventaires avec peu ou pas de curation (SVOD, AVOD…) et activer plusieurs brokers qui font de l’extension d’audience.”

La curation est-elle un problème pour les éditeurs ?

“Les curators sont des outils, les outils n’ont pas d’intention Tout dépend de l’utilisation qu’on fait du curator”, résume Max Legrand. La curation peut, sur le papier, être bénéfique à tout éditeur, en lui apportant du business incrémental parce que :

1° elle facilite l’accès à son inventaire pour les acheteurs qui méconnaissent le marché français ou manquent de temps. C’est la vision que prône notamment Greyfox Ads, avec son approche de master deal

2° elle permet de de rendre son inventaire plus attractif, en le bundlant avec un ciblage que l’éditeur ne pourrait pas proposer nativement (une mesure de l’attention ou du carbone, une data retail…)

L'Open Web est un écosystème ouvert, qui se fait écraser depuis quelques années par les plateformes, rappelle Max Legrand. “La curation permet de réduire les barrières à l'entrée côté sell-side pour tous les acteurs qui ont une vraie valeur ajoutée à monétiser auprès des annonceurs, tout en rémunérant les éditeurs pour les inventaires.” 

La majorité des brokers/curators ne sont pas les ennemis des éditeurs, ce sont leurs partenaires business face au danger des plateformes, estime l’expert. Pegah Mofidi cite, elle, un client qui lui a dit que “la curation, c’était de l’open auction sous stéroïdes”, parce que les impressions par ce biais sont beaucoup plus performantes. 

Le SSP français s’est appuyé sur près de deux ans de données pour en sortir une data éloquente : une impression vendue en curation (Equativ parle d’open package) a 400 fois plus de chances d’obtenir une réponse positive de la part d’un DSP qu’une autre vendue en open auction. 

Notamment parce que les coûts d’infrastructures des DSP ont aussi explosé avec l’avènement du header bidding et qu’ils sont, à en croire Julien Mateos, head of tech partnerships chez Equativ, “de plus en plus nombreux à throttler les impressions issues de l’open auction.” Comprendre que vos impressions ont de moins en moins de chances d’être proposées par le DSP à l’acheteur si elles sont vendues en open. 

“Tout cela a une valeur ajoutée qui justifie que le broker prélève sa commission, estime Julien Gardès de Triplelift. Le vrai problème, c’est que certains acteurs profitent de l’essor de la curation pour ressusciter la notion d’ad-networks, en packageant du média sans optimiser grand-chose.”

Leur valeur ajoutée est, dans ce cas de figure, plus discutable. Et elle ne justifie quasiment jamais les fees prélevés. Car si celle du SSP est “capée” à 15%, celle du curator ne l’est pas. Elle peut, dans certains cas, monter jusqu’à 60% du CPM. Évidemment la partie qui atterrit chez l’éditeur est diminuée d’autant.

“La crainte, légitime, c’est que quelqu’un, en bout de chaîne et de manière complètement opaque marge sur le dos des éditeurs”, résume Federico Benincasa. “On a de sérieux doutes sur la valeur ajoutée de certains curators”, confirme un patron de régie.

Doutes que le manque de transparence des SSP (seul Xandr vous permet de savoir, à date, qui vous vend et dans quelle proportion) n’aide pas à lever. “On est presque dans un modèle d’arbitrageur”, à en croire Julien Gardès. Un modèle qui vient, en plus, cannibaliser les ventes directes de la plupart des régies. 

“C’est l’un des gros malentendus de la curation dans sa forme actuelle : c’est censé être simplement une manière plus safe et maline d’acheter de l’open auction mais c’est, du fait de la confusion sémantique, souvent quelque chose qui vient cannibaliser les deals ID des éditeurs”, explique Karine Rielland-Mardirossian, DG déléguée au digital de Media.figaro. Et ça génère, de la sorte, une vraie perte de valeur pour les éditeurs.

“La plupart des agences médias ne vont, faute de ressources, plus prendre le temps de nouer un deal ID avec les éditeurs en direct, observe un connaisseur de l’écosystème. Si on met de côté les quelques “gros”, comme Prisma, 366 ou Reworld Media, elles vont, pour les autres, passer par des sous-régies parce que 1° c’est pratique de passer par des bundles 2° c’est un moyen facile de remercier celui qui vous a invité à Roland Garros…

Si l’activité de deal ID des éditeurs diminue, c’est aussi parce que les ressources des agences diminuent. “Les pôles agences de la plupart des régies éditeurs sont en train de fondre comme neige au soleil car les agences n’ont plus le temps, ni la connaissance de faire des deals en direct”, confirme Romain Colosimo, country manager France d’Adnami et ancien de Reworld Media.

“On a de moins en moins la bande passante pour faire du one-to-one”, reconnait un acheteur qui ajoute que, passer par la curation, c’est aussi ne plus avoir à s’exposer aux relances incessantes de certaines régies qui s’étonnent de ce que les nombreux deals set-uppés ne soient jamais activés. 

“On a bien conscience que c’est chronophage pour une agence média de multiplier les deals ID en one-to-one. La curation est bienvenue lorsqu’elle consiste à leur permettre de créer des meta deals”, reconnaît Karine Rielland-Mardirossian. 

Sylvain Travers, le fondateur de Hubvisor, ne dit pas autre chose lorsqu’il rappelle que “la force commerciale des SSP et des curators peut rendre service à tous ces éditeurs qui ont un peu jeté l’éponge sur le sujet de la monétisation programmatique de leur inventaire.”

Comment remédier aux dérives de la curation  ?

“Tout le sujet, c’est d’avoir plus de transparence et de contrôle sur qui peut acheter par ce biais et à quel tarif”, résume Philippe Giendaj, directeur adtech de 366. Lequel déplore n’avoir, à ce jour, aucune idée du nombre de deals de curation qui s’opèrent chez lui ou de la répartition de la valeur.

Une opacité qui vaut aussi, pour l’autre côté de la chaîne. S’il a toutes les infos quand il active, depuis son DSP, de la data tierce ou un ciblage, un acheteur média sait rarement quelle est la répartition exacte entre le média, le broker et le SSP quand il active un deal en curation.

Assaillis de demandes de ce genre, la plupart des SSP sont en train de regarder comment y répondre favorablement. “Les SSP doivent mieux collaborer avec les éditeurs sur le sujet”, estime Karine Rielland-Mardirossian. Equativ assure le permettre déjà.

Il faudrait, dans l’idéal, qu’un éditeur puisse : 

1° Savoir quel pourcentage du business réalisé avec chaque SSP se fait via un siège curator

2° Savoir quels sont les acteurs qui utilisent ce siège curator et dans quelle proportion (pour potentiellement en bloquer certains)

3° Pouvoir mettre des floors différenciés entre open auction et curated marketplace pour préserver leur marge (mettre des floors plus élevés sur la curation)

Il s’agit, en clair, de protéger un peu plus les intérêts des éditeurs. Une mission dont les SSP se seraient détournés en même temps qu’ils se sont tournés vers le buyside. 

“A la base, un SSP est pensé pour ramener un maximum de revenus aux éditeurs. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’ils s’escriment surtout à ramener un maximum de revenus chez eux, qu’importe ce qu’il reste aux éditeurs”, observe Philippe Giendaj.

“Tout le monde gagnera à ce que la curation s’accompagne de plus de transparence, notamment sur le niveau de marge de chacun”, estime de son côté Max Legrand.

Cela permettrait aux premiers concernés - les éditeurs - de faire le tri entre ceux qui ont une valeur ajoutée, ceux qui n’en ont aucune et ceux qui ont une valeur ajoutée mais qui ne justifient pas le niveau de commission.

Rappelons qu’aux Etats-Unis, toujours selon Jounce Media, la moitié des deals de curation se font sans aucune marge. On n’y est pas encore en France évidemment, mais Max Legrand ne doute pas que “les fees associés à la pratique devraient diminuer, côté SSP, en même temps que la pratique se démocratise et que la concurrence devient de plus en plus rude.”

Un bon connaisseur du secteur estime, de son côté, que les éditeurs doivent redevenir acteurs de la curation. “Il faut qu’ils ferment toutes les sous-régies qui margent sur leur dos mais il faut qu’ils le fassent de manière coordonnée sinon ça ne marchera pas.” Pas besoin d’être une centaine à le faire, assure notre expert, si les plus gros, Prisma, 366, Media.Figaro, le font, le reste suivra. 

“A eux ensuite d’aller voir les SSP, les mettre en compétition, et en choisir un au sein duquel ils ouvrent un siège de curation, à des conditions avantageuses. Et une fois ce dernier ouvert, d’y proposer les 50 deals de curation les plus utilisés sur étagère en s’appuyant sur un acteur comme Gravity ou Mediasquare, pour les pousser côté agences.” Chiche ?