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Bastien Deleau (Prisma Media) : "Certains acteurs, qui jouent aux chevaliers blancs de l’Open Web, font en réalité leur beurre sur son dos en prélevant des niveaux de commission hallucinants"

Open Garden. Pourquoi n’êtes-vous pas aussi alarmiste que tous ceux qui déplorent que les sites “éditions et info”, catégorie à laquelle vous appartenez, stagnent, avec une croissance d’à peine 1% en 2024 selon l’Observatoire de l’epub ?

Bastien Deleau. Le problème, c’est que l’Observatoire ne prend en compte que les recettes nettes, c’est-à-dire ce qui finit dans la poche des régies. Or il y a une différence conséquente, de l’ordre de 20 à 30%, entre cette somme et ce que les acheteurs déboursent en réalité.

Une “adtech tax” qui ne s’applique pas à la plupart des autres catégories, qu’il s’agisse du search, du social ou de la vidéo vendue en gré à gré, et qui contribue à aggraver l’écart entre notre catégorie et le reste du marché puisque nous sommes, sur le display, très dépendant du programmatique en open auction. Ce dernier pèse pour au moins 50% des revenus de la plupart des régies françaises pour ce format. 

30% des 550 millions d’euros que capte notre catégorie, c’est loin d’être neutre. On parle d’au moins 150 millions d’euros qui s’en vont pour des raisons plus ou moins justifiées et plus ou moins transparentes.

En ré-intégrant cette somme aux calculs, on verrait que notre catégorie reste un secteur qui compte, qui est certes mature, d’où une croissance ralentie, mais qui n’est pas en perdition comme je peux le lire. 

Que faire pour limiter l’impact de cette adtech tax ? Difficile de se passer des DSP et SSP non ?

Je pense qu’il y a un autre combat à mener que celui que nous livrons actuellement aux plateformes sociales. Bien sûr qu’elles captent de la valeur sur notre dos mais la priorité devrait être, à mon sens, de d’abord faire le ménage chez nous, en distinguant les bons resellers des mauvais. Ceux qui nous apportent de la valeur et ceux qui, au contraire, font de l’argent sur notre dos. 

Cela permettrait de “rendre” aux acheteurs les 20 à 30% de commissions qui s’envolent dans la chaîne de valeur. Ce qui permettrait d’augmenter d’autant le ROI des campagnes diffusées chez nous. Et serait, sans nul doute, un bon moyen de gagner en parts de marché dans les budgets médias. 

Plus facile à dire qu’à faire non ?

Ce serait illusoire pour un membre du top 10 des groupes médias français d’espérer remplir, ne serait-ce que 80% de son inventaire publicitaire, simplement en s’appuyant sur sa force commerciale. C’est la raison de l’explosion de l’open auction et du programmatique : nous aider à maximiser l’accès à la demande. 

Mais sans doute qu’on pourrait réaliser les mêmes niveaux de chiffre d’affaires, en remédiant à la baisse de notre taux de remplissage par une hausse des CPM. Et qu’une reprise en main de notre commercialisation, via la mise en place de chemins d’accès plus directs, nous permettrait, par ailleurs, de mieux valoriser notre inventaire. C’est un peu ce que l’on met en place quand on fait du SPO d’ailleurs. 

Je ne vous parle même pas de juste rétribution. Je vous parle simplement de mettre en évidence la performance réelle de notre inventaire qui, délesté de cette commission, devient beaucoup plus compétitif.

Comment concrètement distinguer le bon du mauvais reseller ? 

Le premier vous apporte une vraie valeur, parce qu’il crée un format que vous n’avez pas ou vous donne accès à une demande que vous ne pourriez pas cibler, en local ou à l’international. En bref, il vous apporte un véritable incrément de business ce qui était, d’ailleurs, l’une des promesses d’origine du programmatique. 

Le second, en plus de cannibaliser les ventes que vous pourriez faire en direct, le fait en prélevant une forte commission au passage. Inutile de préciser que c’est tout ce que nous voulons éviter et que nous sommes devenus très vigilants sur le sujet.

Je pense notamment à certains acteurs qui jouent un peu aux chevaliers blancs de l’Open Web, mais font, en réalité, leur beurre sur son dos, en prélevant des niveaux de commission hallucinants. 

Un récent article d’AdExchanger évoque justement ce phénomène, en ce qui concerne les curated markeplaces, ces places de marché au sein desquelles des SSP packagent de l’inventaire multi-éditeur autour d’un KPI commun…  

Une curated marketplace, c’est quoi ? C’est, à l’origine, un mode d’achat très complémentaire des deals ID que les acheteurs médias nouent en direct, régie par régie, car cela leur permet d’accéder à un tout un pan de l’inventaire Open Web qui est shortlisté, parce qu’en lien avec une typologie d’éditeur ou un KPI spécifique.

Le problème, ici encore, c’est que certains acteurs ont détourné ce modèle. On voit certains intermédiaires qui, sous couvert d’agréger de l’inventaire pluri-médias, pluri-données, en profitent pour basculer sur un modèle de sous-régie dont le niveau de marge est exubérant. Un modèle qui vient, en plus, cannibaliser les deals que l’on noue en direct avec les acheteurs médias.

Peut-être une autre des raisons de la baisse des deals ID en 2024 donc ?

Exactement.

Pouvez-vous refuser d’être intégré à une curated marketplace ?

C’est amusant que vous posiez la question car c’est exactement le débat que nous avons en ce moment avec l’un de nos partenaires programmatique qui nous soutient que, si on veut sortir de sa curated marketplace, on n’aura pas d’autre choix que de le débrancher. Et donc se priver de toute la demande qu’il pourrait nous apporter en open auction. 

Vous pourriez vous y résoudre ?

Tout est question de rapport de force. Mais je vais vous faire une confession, il n’y a aujourd’hui pas un seul SSP qui soit indéboulonnable. Il y a tellement d’overlap entre les uns et les autres que vous ne perdez pas tant que cela à couper un SSP qui fait partie de vos trois plus gros partenaires programmatiques. On ne s’interdira donc rien !

Ça dépend de quoi on parle et à qui on se compare. Je pense que notre principale erreur a été de tous nous lancer dans une course au volume qui s’est parfois faite au détriment de la qualité de l’inventaire vidéo…

Vous faites allusion au fameux classement mensuel de Médiamétrie//Netratings, sur lequel les régies communiquent encore allègrement… 

Oui. Tout l’enjeu, c’est d’effectuer le bon arbitrage entre valeur et volume. Je pense qu’un bon tiers de notre inventaire publicitaire vidéo mériterait peut-être d’être coupé, car pas suffisamment qualitatif. 

Sans doute qu’un bon tiers de notre inventaire publicitaire vidéo mériterait d’être coupé, car pas suffisamment qualitatif. 

Ce ne sont évidemment pas des décisions faciles à prendre. On parle tout de même d’une centaine de millions de vues par mois… Mais cela permettrait de mieux valoriser la qualité de nos productions vidéos restantes, qui constituent une large majorité de notre catalogue. Parce que le premier moteur d’engagement d’un utilisateur avec une publicité vidéo, c’est la qualité du contenu édito qu’il y a derrière. 

Une fois qu’on a dit ça, il y a un autre sujet : celui de la distribution de nos contenus. On voit bien qu’il y a une tendance de fond en matière de consommation vidéo, qui est la montée en puissance du device TV où les médias issus du print sont peu ou pas présents.

Comment y remédier ? En lançant des applications CTV voire des chaînes linéaires, comme le font certains de vos concurrents ? 

C’est une piste. Mais avant d’en arriver là, je pense qu’on peut aussi essayer de renforcer les collaborations avec les acteurs qui sont présents sur cette catégorie. C’est dans leur intérêt comme le nôtre. 

A part le social, je ne pense pas qu’il y ait une typologie d’acteur assurée de réaliser une croissance à deux chiffres sur les prochaines années

Parce qu’à part le social, et encore si l’on voit tout le débat qui les entoure actuellement, je ne pense pas qu’il y ait une typologie d’acteur qui soit assurée de réaliser une croissance à deux chiffres sur les prochaines années.

Pour quelle raison ? 

Prenez les broadcasters. Oui, ils ont de très forts carrefours d’audience et des écrins surbookés. Mais ils gagnent sur le streaming ce qu’ils perdent sur le linéaire et, surtout, ils ont très peu de data sur leurs contacts publicitaires. Qu’est-ce que le fait de regarder Koh Lanta dit de vous ? Pas grand-chose !

Nous pouvons être un bon partenaire pour aider un TF1 Pub à mieux catégoriser les centres d’intérêts de ceux qui regardent Koh Lanta, en leur disant combien consultent des contenus food, beauté, lifestyle ou autres sur nos sites..

Je pense très sincèrement que nous pouvons être le meilleur partenaire data de ce marché et que nous pouvons aider pas mal de régies, à revaloriser le ventre-mou de leur inventaire publicitaire… C’est aussi valable pour les régies retail ! Leur core business est plus que jamais lié au “search on-site”, mais sa croissance ralentit, victime de son succès. La nouvelle impulsion passera par l’accélération du “média off-site”, là-aussi, nous nourrissons une forte ambition...