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Confession d’un éditeur anonyme : “Pourquoi on se bat contre certaines dérives liées à la curated marketplace”

Le sujet des curated marketplaces cristallise en ce moment énormément de débats. Ce qui, je dois l’avouer, m’étonne un peu quand on sait que ces dernières pèsent moins de 3,7% des investissements programmatiques selon Adomik. Pourquoi parle-t-on selon vous autant d’un truc qui pèse si peu ?

Editeur anonyme. Vous relayez ce pourcentage de 3,7% mais le problème c’est que personne, pas même Adomik, n’est capable de savoir combien pèse réellement ce mode d’achat, vu qu’une bonne partie remonte comme de l’open auction au sein des SSP. C’est impossible d’avoir l’information côté seller, vu que les SSP ne la communiquent pas. 

Il faudrait être du côté du buy-side pour l’avoir et personne n’est suffisamment exhaustif pour avoir une vision fidèle de celà. Selon mes estimations, qui valent ce qu’elles valent, le ratio est plutôt d’au-moins 10%. Ce serait déjà bien plus significatif !

OK mais pourquoi est-ce que c’est un problème ?

C’est un vrai problème parce que 1° c’est hyper opaque, on ne sait pas vraiment combien ça pèse, 2° c’est un business sur lequel les SSP et les curators prélèvent des marges énormes 3° cela vient cannibaliser les deals ID que nous nouons avec les agences médias parce que c’est évidemment plus simple pour ces dernières de faire un curated marketplace avec 10 éditeurs plutôt qu’un deal ID avec ces 10 éditeurs. 

Et ça, c’est un vrai problème économique pour moi car je marge à 95% sur un deal ID, Google Ad Manager ne prélevant que 5% de commission, et cette marge tombe généralement 30% sur la curated marketplace. Le SSP prend 15% parce que c’est de l’open, il rajoute 15% parce que c’est une curated marketplace et le curator / reseller prend ses 40%. Donc sur un CPM à 10 euros, il vous reste 9,5 euros dans le premier cas de figure, 3 euros dans le second cas. 

Ce n’est pas tenable… et surtout, ce n’est pas justifié ! Même sur de l’open auction, je gagne plus puisqu’avec un CPM à 5 euros, je garde 4,2 euros net après commission du SSP. Tout ça pour quoi ?

Bonne question, je suis sûr que vous avez votre petite idée !

On parle de “curated deal” mais ça n’a, en l’état, rien à voir avec un deal. C’est plutôt du package d’open auction. Vous achetez en open auction, donc sans garantie de CPM ou d’impression, l’inventaire de plusieurs éditeurs que vous avez réunis au sein d’une marketplace, en y ajoutant parfois, même pas toujours, un filtre de visibilité ou d’attention. 

Vous obtenez via la curated marketplace du SSP concerné un ID que vous allez transmettre à votre DSP pour qu’il achète là-dessus. Il n’y a donc, dans la plupart des cas, rien que vous ne puissiez faire directement depuis votre DSP via une liste d’inclusion et un filtre sur un KPI. Ce qui questionne, en l’état, sur l’utilité d’une telle fonctionnalité. 

A part le fait de permettre à des SSP et des resellers de se “gaver” sur le dos des éditeurs, je n’en vois franchement pas. Du moins tant que ces curated marketplaces ne seront pas activables…

C’est-à-dire ?

Je sais que certains SSP ont pour projet de permettre aux utilisateurs de leur curated marketplace d’acheter directement de l’inventaire, plutôt que d’envoyer un deal vers leur DSP. 

Là, ça pourrait avoir du sens, puisque ça permettrait de bypasser le DSP. Et je pense que ça pourrait intéresser des agences médias de plus petites tailles, qui n’ont pas forcément les budgets suffisants pour passer par un DSP.

Vous avez dit que les resellers se “gavaient” eux aussi. Pouvez-vous développer ?

Parce que, pour une raison que je ne m’explique pas, les curated marketplace des SSP orientent une très grande majorité des investissements vers des sièges resellers. C’est à dire que plutôt que d’acheter via le siège de l’éditeur chez ce SSP, ça va se faire via le siège qu’a le reseller chez ce SSP.

Quels resellers, par exemple ?

Évitons le name dropping ! D’autant que ce sont souvent des acteurs qui ont aussi une valeur ajoutée. Le problème, c’est que ces acteurs, que je branche chez moi pour qu’ils m’apportent un nouveau format ou une demande que je n’ai pas, me demandent, en contrepartie, de les laisser enchérir sur l’ensemble de mon inventaire vendu en open auction. 

Du coup, oui, ils m’apportent du business sur leur nouveau format mais ils finissent par faire, en réalité, les trois-quarts de leur chiffre d’affaires sur du display classique. Parce que c’est là qu’est l’essentiel de la demande. Et une partie croissante de ce chiffre d’affaires se fait désormais via les curated marketplaces des SSP puisque, comme je vous l’ai dit plus haut, ces dernières favorisent souvent les sièges resellers, pour une raison que je ne m’explique pas.

Comment y remédier ?

C’est bien ça le problème. Bastien Deleau de Prisma Media l’a dit chez vous : on ne peut pas empêcher un SSP de faire de la curated marketplace. Le seul remède, à date, c’est de la débrancher. Mais c’est une décision difficile à prendre évidemment.

Google va, à son tour, se lancer là-dedans, ça vous inspire quoi ?

Google a, me semble-t-il, la bonne approche puisqu’il lance une fonctionnalité de “marketplace package”, qui permettra à chaque éditeur de faire des packages d’inventaires et de les mettre à disposition de la demande. Et que Google va, de son côté, grouper celà pour faciliter la vie des acheteurs. 

C’est d’ailleurs ce que devraient faire les autres SSP : faire des packages pré-établis pour les traders médias qui connaissent mal le paysage média local. Notamment ceux qui sont basés à l’étranger. Ça ne m’intéresse pas qu’un SSP propose mon inventaire via une curated marketplace à une agence média française, elle peut déjà l’acheter en direct avec moi via un deal ID.

Ça a quand même une utilité : permettre au trader de gérer en un deal ce qu’il devrait gérer en une dizaine de deals s’il devait passer par un deal ID avec chaque régie… L’essor de la curated marketplace s’explique aussi par le manque de ressources du buyside.

Oui, c’est vrai. Mais dans ce cas là, reprenons les mécaniques du deal ID. Proposons des  bibliothèques de deals ID pré-faites, cross-publishers, à un tarif fixe. Mettons y uniquement des inventaires très qualitatifs, des formats qui le sont tout autant (les curated marketplaces ne proposent à date quasiment que des bannières standard IAB) avec de vrais filtrages sur l’attention ou la visibilité. Cela permet aux acheteurs médias de gagner du temps, tout en assurant une juste rétribution pour les éditeurs concernés. 

C’est aussi cela qui me chagrine. Certains acheteurs pensent, en passant par la curated marketplace, qu’ils assurent une juste rétribution à l’éditeur, comme ils le font en passant par un deal ID. Au risque de me répéter, ce n’est pas le cas. Ils feront juste de l’open auction, en toute opacité pour l’éditeur concerné.

Aux éditeurs de prendre en main leur destin non aussi ? J’ai en tête l’offre “Video impact” de Prisma Media, media.Figaro et 366 qui ressemble un peu à ce que vous décrivez. Pourquoi les éditeurs ne se réunissent-ils pas plus autour d’initiatives de ce genre ?

C’est une bonne question en effet ! C’est bien dommage qu’il n’y ait pas plus d'initiatives de ce genre mais je ne doute pas que ce sera le cas !