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La data clean room, rampe de lancement des ID partagés ?

Dans leur quête pour devenir une alternative crédible aux cookies tiers, la plupart des ID partagés se heurtent, pour l’instant, à un obstacle de taille : l’accès à la data 1st party des annonceurs.
Si la plupart des médias ont volontiers déployé cette nouvelle typologie d’acteurs sur leur site (avec la perspective de dégager plus de revenus programmatiques), il n’en a pas été de même de l’autre côté de la chaîne. Entre les préoccupations des départements juridiques des uns, la difficulté à trouver le bon interlocuteur chez les autres, cela prend du temps, beaucoup de temps, pour parvenir à déployer son ID partagé sur le site d’un annonceur et être, ce faisant, capable de lier les deux bouts de la chaîne programmatique.
Interrogée sur le déploiement d’Utiq chez Renault, qui est un des annonceurs les plus volontaristes sur le sujet, Sophie Poncin ne disait pas le contraire. La patronne d’Utiq en France a ainsi rappelé que le projet avait mis près de 11 mois avant de voir le jour. De fait, rares sont, à ce jour, les annonceurs français à avoir intégré des identifiants partagés au sein de leur site. Une inertie qui n’étonne pas Pierre Cholet, directeur du développement de Decentriq, qui voit que “ça bloque pour les mêmes raisons en Allemagne et en Suisse.”
Fort de ce constat, la clean room suisse a décidé de proposer, au sein de ces deux marchés, un entre-deux. Permettre aux annonceurs d’utiliser sa clean room pour qu’ils y fassent matcher leur base de données CRM avec un identifiant publicitaire partagé.
En Allemagne, Samsung et Net ID se retrouvent chez Decentriq
C’est Net ID, un consortium qui réunit plusieurs groupes médias (RTL Group, Prosieben et United Internet) autour d’une initiative de SSO commune, qui a été choisi en Allemagne. En Suisse, c’est One ID, qui a joué un rôle similaire. “C’est, dans ce contexte hypersécurisé, beaucoup plus simple pour un annonceur de tester la promesse d’un ID partagé”, observe Pierre Cholet.
C’est le cas de Samsung qui a, en Allemagne, pu toucher trois millions de ses clients existants et 1 million de prospects supplémentaires, grâce à la mise en place de segments type ‘look alike, le temps d’une campagne de deux semaines, diffusée auprès de 13 segments d’audience bien spécifiques.
On n’a malheureusement pas plus d’information sur le succès de la campagne (est-ce que les impressions diffusées auprès des prospects ainsi identifiés ont mieux performé ?). Mais il faut reconnaître que, dans un contexte où la publicité digitale est de moins en moins adressable, le simple fait de retrouver ses clients existants est déjà une réussite.
Même si, comme le rappelle Julien Delhommeau, COO d’Utiq France, c’est également faisable en programmatique via la fonctionnalité PPID de Google Ad Manager ou via un DSP comme The Trade Desk. “On n’a pas besoin d’une clean room pour retrouver des clients en display grâce à l’email. En revanche, cette dernière va offrir un cadre sécurisé pour s’appuyer sur la data d’éditeurs tiers, ce qui permettra d’enrichir les profils relatifs à ces clients.” Et, dans le cas de Samsung, être en capacité de cibler des look-alike. “Du vrai reach incrémental”, ajoute Julien Delhommeau.
Quel est le modèle économique ?
United Internet, le consortium qui a mis les Net ID à disposition, est, dans ce cas de figure, rémunéré comme un data provider, modèle économique très standard au sein de marketplace des DSP. Le coût de la data est souvent un pourcentage du CPM qui varie en fonction du volume d’impressions et qui est cappé pour ne pas dépasser les 20% du média (ce qui évite que le recours à l’ID soit prohibitif pour des impressions de moindre valeur, comme les bannières display classiques).
Evidemment, pour que cela marche, il faut qu’au moins une des parties prenantes ait une licence Decentriq. C’était le cas de Samsung. Pas besoin, en revanche, comme c’est le cas avec d’autres technologies de ce genre (suivez mon regard) que tout le monde ait sa licence. Forcément un frein en moins dans la démocratisation de dispositifs de ce genre.
L’autre avantage, c’est que cela permet à Samsung, qui a une licence avec Decentriq sur toute l’Europe, de reproduire assez facilement l’opération dans ses différents marchés. “Pas besoin pour une marque présente dans les principaux marchés européens de s’engager d'emblée avec chacun des ID qui a le plus de reach en local, il suffit de l’intégrer via notre technologie pour tirer des bénéfices immédiats sur plusieurs pays. Libre à l'annonceur ensuite de l'intégrer sur son site une fois que la valeur est prouvée”, vend Pierre Cholet.
La valeur d’une clean room est très limitée si elle ne peut pas s’appuyer sur une clé de réconciliation.
Les éditeurs ne sont pas en reste puisque le partenariat leur permet d’augmenter l’adressabilité de leur inventaire et donc le CPM moyen, puisque, comme le rappelait cette étude de Pubstack, il y a quelques mois, une impression avec identifiant se monnaie beaucoup plus cher qu’une impression sans. Quand à Decentriq il y trouve également son compte puisque contrairement à son grand rival, Liveramp, il n’a pas d’ID propriétaire, or comme le rappelle Julien Delhommeau, “la valeur d’une clean room est très limitée si elle ne peut pas s’appuyer sur une clé de réconciliation.”
Et en France ? Pierre Cholet reconnaît avoir des discussions en ce sens, sans toutefois pouvoir en dire plus. L’un d’entre eux, Utiq, avait annoncé nouer un partenariat avec la clean room suisse en octobre dernier, sans en préciser les contours. Open Garden est, en revanche, en mesure de vous annoncer que First ID, l’identifiant lancé par David Folgueira et Gaël Demessant, a avancé sur le sujet.
“Nous avons testé la solution de Decentriq pour permettre à l’un de nos clients, Pierre Fabre, d’analyser l’affinité de deux de ses audiences avec certains médias français”, explique Gaël Demessant. Ce client, qui a intégré First ID sur deux de ses sites, Avene et Aderma, a exporté les segments First ID au sein de la clean room de Decentriq. De l’autre côté de la chaîne, quatre éditeurs qui ont déployé First ID, ont fait de même avec leurs segments data (en tout 3 000 segments) sans les mélanger pour autant.
“Une fois qu'on a croisé les infos dans la data clean room, on peut voir quels sont les segments de chaque éditeur qui ont le plus d'affinités (fréquence/récence) avec l'audience de Pierre Fabre”, explique Gaël Demessant. Et adapter le plan média en conséquence.
Et la suite ? On peut très bien imaginer un accord tripartite, comme celui mené en Allemagne, entre un annonceur client de Decentriq, First ID et un éditeur qui, comme Prisma ou Reworld Media, accueillerait la campagne. Ou que First ID décide de prendre, lui-même, la licence d’une technologie qui peut lui permettre de lancer des premiers POC avec les annonceurs un peu récalcitrants à intégrer la technologie tout de go.
La clean room et First ID en tant que liant pourraient, par ailleurs, permettre à des annonceurs qui veulent faire des deals data second-party de gagner en efficacité.
Typiquement un annonceur qui a de la donnée “moment de vie”, qui vend un segment “gens qui viennent d’acheter une voiture” à un assureur automobile. Des deals qui, lorsqu’ils s’appuient sur le cookie tiers, permettent rarement de matcher plus de 30% des bases et qui, en faisant de First ID un intermédiaire qui opère au sein de la clean room, permettraient de monter le ratio de 60 à 80%. Même logique pour un retailer qui voudrait faire de l’extension d’audience et ne peut évidemment pas se contenter de le faire pour ses utilisateurs logués.
Si vous voulez retrouver du reach sur vos activations médias, vous n’aurez pas d’autre choix que d’intégrer un identifiant partagé au sein de votre site
Gael Demessant voit dans la clean room “un bon moyen de mettre le pied dans la porte de certains annonceurs” mais espère bien, à terme, convaincre ces derniers de le déployer chez eux. “La plupart des annonceurs n’ont pas suffisamment d’emails pour faire autre chose que de la génération d’insights au sein d’une clean room. Si vous voulez retrouver du reach sur vos activations médias, vous n’aurez pas d’autre choix que d’intégrer un identifiant partagé comme le nôtre au sein de votre site.”
Il y aura effectivement des déçus. Entre les annonceurs qui ont des bases emails plutôt maigres, faute d’une relation de distribution forte avec leurs clients, et ceux qui ont besoin d’un gros reach et ne peuvent donc pas se satisfaire de la déperdition qui s’opère au moment du matching entre la base et l’ID partagé. On retrouve rarement plus d’un tiers des contacts…
Il convient aussi de préciser que, si ce partenariat tripartite ouvre plus facilement la porte de certains annonceurs, il ne permet pas d’ouvrir celle de DV 360, le DSP de Google qui, archi majoritaire dans la gestion des achats programmatiques, reste réfractaire aux ID partagés. Même s’il est possible de contourner cet aspect-là en récupérant l’ID partagé au sein de la clean room et en le nichant dans la fonctionnalité PPID de Google Ad Manager. Ou, de faire de même, via un deal ID en programmatique, activable directement depuis le DSP de l’acheteur.
De fait, DV 360 est plutôt partisan de pousser Pair, un protocole qui permet aux éditeurs de faire du custom audience avec les annonceurs mais en one-to-one. “Le problème de Pair, c’est que c’est mono-éditeur, vous ne pouvez pas gérer le frequency capping entre plusieurs éditeurs”, note un acheteur.
Sans compter que le protocole mis en place alourdit considérablement l’expérience utilisateur, puisque vous devez passer par un appel API vers la clean room partenaire (Infosum et Liveramp notamment) à chaque bid request. “Cela refroidit pas mal d’éditeurs”, commente un connaisseur du marché. Ici encore, les choses devraient bouger puisque l’IAB tech lab a pris le protocole sous son égide et devrait, a priori, l’ouvrir à tous les ID partagés et DSP.
Julien Delhommeau pressent, lui, que la clean room pourrait permettre aux annonceurs qui déploient Utiq ou un autre ID partagé sur leur site de mieux comprendre l’impact de ce dernier sur les ventes en magasin. “Ils pourraient intégrer, au sein d’une clean room, les emails des acheteurs magasins des 30 derniers jours et les ID des gens qui sont venus sur leur site sur la même période. Un éditeur qui a pas mal de trafic logué et a, lui aussi, déployé la solution d’ID pourraient leur permettre de lier cet ID à un email.” Un bon exemple de ce fameux data sharing des éditeurs dont on vous parlait récemment…