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Pourquoi le retail media n’est (pas encore) la poule aux oeufs d’or attendue

“Notre échec, c’est d’abord celui d’un pari, à savoir que l’écosystème hors Amazon allait exploser. Ça n’a malheureusement pas encore été le cas.” Cet entrepreneur est lucide au moment de revenir sur la fin de son projet : une techno, qu’il avait lancée en pleine bulle retail media, quand nous étions nombreux (agences médias, retailers, adtech et moi compris), à voir le secteur comme la nouvelle poule aux œufs d’or.

Deux ans plus tard, le constat est implacable : la techno, pensée pour permettre aux marques de mettre plus d’intelligence dans leurs investissements e-retail media, n’aura finalement jamais réussi à trouver sa place dans un écosystème qui, de l’aveu de notre entrepreneur, “manque encore de maturité et qui, hors Amazon, peine à décoller.” 

C’est factuellement vrai. Si on prend l’exemple de la France (mais cela vaut pour la plupart des autres pays européens), Amazon capte près de 75% d’un marché estimé à 1,2 milliard d’euros sur le digital en 2024 selon le dernier Observatoire de l’ePub. Ce qui contraint la dizaine d’acteurs restants à se battre pour un gâteau finalement pas si gros que ça, estimé à un peu moins de 150 millions d’euros si on enlève LeBonCoin et SeLoger de l’équation. 

“On reste des fourmis par rapport à Amazon”, me confie le patron d’une des principales régies retail media de France. Et il est difficile de lui donner tort puisque, selon nos estimations, le numéro 2 du secteur, Cdiscount, cumulait près de 80 millions de revenus publicitaires en ligne (en cumulant retail media et accords trade), soit 10 fois moins qu’Amazon en 2024. Alors que les géants de la distribution, E.Leclerc, Carrefour et Intermarché oscillent, eux, entre 20 et 30 millions d’euros de revenus publicitaires hors trade marketing. 

Le plus inquiétant, peut-être, c’est que ce gâteau, déjà pas bien gros, semble grossir moins vite que prévu. Si les choses ont (en apparence) plutôt d’aller bien, avec une croissance annuelle d’un peu plus de 14% entre 2023 et 2024 selon l’observatoire de l’ePub, cette croissance faiblit, en pourcentage, comme en valeur (ce qui est plus inquiétant). 

On est ainsi passé de 214 millions d’euros supplémentaires entre 2022 et 2023 à 156 millions d’euros de plus l’année d’après. Des chiffres qui, il faut le préciser, ne prennent pas en compte le volet extension d’audience, soit l’activation de la data des retailers hors de leur site. Une activité que l’Observatoire n’assimile, en l’état, pas à du retail media mais qui, de toute façon, reste encore marginale (on parle de 10 à 15% de revenus supplémentaires par régie). Notamment parce que l’univers est fragmenté et que la data coûte assez cher. 

Vous l’aurez donc compris, la croissance du secteur ralentit. Et puis surtout, elle cache des réalités bien différentes. “Beaucoup de grosses régies de retailers traditionnels sont flat sur le début de l’année 2025”, confiait ainsi Maïte Dailleau, partner chez Oliver Wyman à l’occasion de l’Observatoire. 

Dit autrement : derrière la locomotive Amazon, qui continue d’afficher une croissance à deux chiffres, c’est plus compliqué pour les autres. Et ce n’est, à en croire une série d’infographies réalisée par Andrea Reiffen, fondateur de Pentaleap, pas près de s’arrêter puisque l’un des analystes de référence, eMarketer, a revu ses prévisions à la baisse. -4% entre les projections réalisées en 2023 et celles réalisées en 2025 pour les exercices 2026 et 2027 en France. Soit un différentiel de 300 millions d’euros à chaque fois. 

Est-ce une surprise ? Pas forcément à en croire Lawrence Taylor, le fondateur de Retail4Brands, pour qui tout part d’un malentendu : croire que le retail media est, pour les retailers, ce que le programmatique a été pour les éditeurs. “L’environnement retail media est, par définition, très contraint, qu’il s’agisse de l’inventaire disponible ou du bassin d’annonceurs. Ça n’a rien à voir avec l’Open Web programmatique qui, quand il a explosé, pouvait s'appuyer sur un inventaire quasiment infini”, explique l’expert. 

C’est, tant que le retail media se cantonnera à du e-retail media onsite, comme c’est le cas actuellement, tout à fait juste. Tout simplement parce que les retailers ne peuvent pas, comme l’ont fait avant eux  les publishers, créer des emplacements publicitaires quasiment à l’infini. L’essor du format “sponsored product” est directement dépendant du volume de visites et de requêtes alors que l’essor du display peut, lui, vite nuire à l’expérience utilisateur si chère aux retailers. Difficile donc de continuer à faire grandir cette ligne de revenus quand le trafic Web plafonne, de même que les ventes e-commerce. 

Une offre marketplace qui ne se développe pas assez vite

L’inventaire est limité… mais le nombre d’annonceurs concernés l’est aussi puisque le retail media on site reste l’affaire d’annonceurs endémiques. Annonceurs qui sont rarement plus de quelques centaines par retailer et qui, pour certains, ont du mal à voir dans le retail media onsite autre chose qu’une taxe déguisée, imposée via les accords de trade marketing. “La taille du marché adressable n’a rien à voir avec un Amazon qui, grâce à son activité de marketplace, s’adresse à plusieurs milliers d’annonceurs”, compare Lawrence Taylor. 

Qui a intérêt à faire du retail media ? Les vendeurs qui ont un déficit de notoriété, voire pas de marque. En d’autres termes, les 3P, le petit nom que l’on donne aux vendeurs de marketplace, qui sont, sans surprise, très friands d’un levier plutôt bas de funnel comme le sponsored product. 

Un population qui a permis à Cdiscount Advertising de passer de 500 clients à plus de 6 000 vendeurs actifs en lançant sa marketplace. Une population qui, comme le rappelle Christophe Blot, directeur des revenus de Cdiscount, met souvent 100% de ses dépenses marketing dans ce canal, puisqu’ils investissent peu ou pas sur d’autres supports que les retailers qui les référencent.

“Une marque 1p va, en moyenne, mettre 3% de son chiffre d’affaires dans du retail media chez nous quand un vendeur 3p sera souvent au-dessus des 4%”, chiffre l’expert. Parce qu’il faut compenser l’absence de notoriété ou de considération de la marque du vendeur mais aussi, et surtout, parce qu’il y a un réel incentive à réaliser la vente.

“Un vendeur 3P qui ne vend pas chez un distributeur voit son chiffre d’affaires directement impacté ! C’est moins le cas de la marque 1P puisque le produit a déjà été vendu au distributeur”, observe Christophe Blot. 

C’est une des raisons qui expliquent aussi que les vendeurs de marketplace n’aient aucun souci à décaper leurs budgets médias les jours de grands rendez-vous, comme le Black Friday, quand les 1P restent souvent plus scolaires et s'autorisent plus difficilement des rallonges, même lorsque le budget est vite dépensé.

Le problème, c’est qu’exception faite de Cdiscount, qui réalise les deux-tiers de son volume d’affaires par ce biais, les plus gros e-commerçants français n’ont pas su (ou voulu) développer d’offre de marketplace consistante. 

Du côté de la grande distribution alimentaire, c’est le fort tropisme alimentaire qui en est le principal responsable. C’est très compliqué (pour ne pas dire impossible) de faire de la marketplace en drive, vu que l’internaute s’attend à tout recevoir en même temps et, tant qu’à faire, en quelques heures. Une promesse intenable quand vous ne maîtrisez pas les stocks et la distribution. Mais qui, du coup, limite sérieusement la capacité de “scale” de ces acteurs. 

“On dit souvent que Walmart est un exemple à suivre pour Carrefour, E.Leclerc et Intermarché, mais les situations n’ont rien à voir. 80% des linéaires du premier sont consacrés à du non-alimentaire, quand c’est l’inverse pour les retailers français”

“On dit souvent que Walmart est un exemple à suivre pour Carrefour, E.Leclerc et Intermarché, mais les situations n’ont rien à voir. 80% des linéaires du premier sont consacrés à du non-alimentaire, quand c’est l’inverse pour les retailers français”, analyse Lawrence Taylor. Sans compter que Walmart opère à un tout autre niveau que les retailers français puisqu’il capitalise sur plus de 100 milliards de dollars de GMV en e-commerce.

Du côté de la grande distribution spécialisée, c’est plutôt l’ancrage “magasin physique” qui est en cause, à cause notamment des nombreux comportements de type “RoPo” - recherche en ligne, achat en magasin - qui n’incitent pas à développer le volet marketplace.

Prenons la Fnac, un acteur dont on se dit qu’il pourrait, comme Cdiscount et Amazon, accélérer sur le sujet. “La priorité de la Fnac et sa régie, c’est plutôt d’aller voir les 1P et de leur vendre des campagnes de retail media”, observe un spécialiste en agence. De sorte que les premières places des sponsored products ne sont même pas accessibles aux 3P. Le constat est le même du côté des acteurs du bricolage qui souffrent, en plus, d’une densité d’annonceurs qui est moindre que dans l'high-tech. 

“Le marché est encore naissant de notre côté, nous avons lancé notre offre de sponsored product pour les 3P il y a moins d’un an”, tempère la patronne de Retailink, Alexandra Suire. Sans compter qu’il y a, aussi, un vrai sujet technologie puisqu’il n’y a, à part RelevanC, la technologie qui équipe Cdiscount, et celle d’Unlimitail, pas de technologie qui gère de front le 1P et le 3P : le leader historique, Mabaya, n’est pas encore intégré à la RMP de Criteo (il le sera bientôt) et Mirakl Ads est, by design, 3P only. 

Difficile, dans ces conditions, de capitaliser à plein sur le levier retail media qui croît le plus (le search, +15%) alors que le display est lui à +4% et que la révolution programmatique que l’on nous promettait semble encore loin. Parce que les taux de matching dépassent rarement les 15% sur principaux DSP du marchés, ce qui limite le développement du off-site, et qu’ils ne sont pas calibrés pour gérer les spécificités liées au retail media (catalogue produit, SKU, disponibilité…) pour aller sur le on-site. “On est encore loin de pouvoir retranscrire un deal ID version retail media”, s’amuse un historique du secteur. 

“La réalité, c’est que les budgets retail media viennent plutôt des accords de trade que des poches marketing”, analyse Gaby Echeverri, head of retail media chez Publicis Media. On est donc dans des investissements qui sont rarement incrémentaux et qui sont, le plus souvent, directement proportionnels à la part de marché des uns et des autres. Ici encore, les chiffres donnent raison à nos experts puisque selon les données remontées par Particular Audience seulement 75 des 170 milliards de dollars de budgets investis en retail media sont de l’incrémental, le restant provenant de la réallocation du trade.

Le problème du retail media, c’est qu’il se cantonne au e-retail media, qui se cantonne lui-même aux annonceurs endémiques, qui sont peu nombreux et, pour l’instant, se contentent souvent d’y déverser des budgets trade

Pour résumer, le problème du retail media, c’est qu’il se cantonne au eretail media, qui se cantonne lui-même aux annonceurs endémiques, qui sont peu nombreux et, pour l’instant, se contentent souvent d’y déverser des budgets trade. Il y a peu d’incrémentalité et c’est ce qui explique le développement, beaucoup plus timide que prévu, du retail media hors Amazon. 

“On se disait que ce dernier tomberait à 60% de part de marché e-retail media, 5 ans après notre lancement. Je ne suis pas sûr qu’on y arrive un jour”, révèle notre entrepreneur, qui estime même que l’étreinte du géant pourrait encore se renforcer, puisqu’il a décidé de lancer son retail media network et qu’il a déjà convaincu le géant du prêt-à-porter Macy’s de le rejoindre. “

Quand vous êtes habitué à dépenser votre argent sur Amazon, que vous y avez vos rapports et vos ciblage sur mesure alors que chez les autres, l’inventaire et les fonctionnalités sont beaucoup plus limitées, le choix est vite fait.”

Un constat que semble partager le COO d’Unlimitail, Thibault Hennion : “Je pense qu’il y a plusieurs raisons à l’absence de développement massif du retail media marketplace : 1° le manque de maturité de certains sellers, qu’il faut donc former,  2° une logique de “winner takes it all”, qui voit  Amazon et un ou deux acteurs max tout rafler par pays, 3° des accords de trade marketing qui restent significatifs et obèrent le pur retail media.”

Reste l’in-store où, pour le coup, les Français ont une belle carte à jouer. “Le marché se résume, pour l’instant, à des deals noués entre distributeurs et acheteurs dans le cadre des accords de trade marketing mais le potentiel est énorme”, observe un patron de régie. Mais il y a tellement à faire dans cet environnement qui offre du reach, du scale et de nouvelles possibilités en matière d’expérience publicitaire. 

“Le playbook de l’in-store reste à inventer, notamment pour faire la boucle entre une activation et son impact sur les ventes”, estime Lawrence Taylor. “Les acteurs de l’instore opèrent pour l’instant plus comme des acteurs du DOOH, sans logique de mesure de la performance des dispositifs, que comme de réels acteurs retail media aujourd’hui, observe Thibault Hennion. Les choses sont en train de changer, notamment avec l’évolution technologique, mais cela est très très progressif.” Et ça fera l’objet d’un prochain article….