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Tout comprendre au marché de la CTV (épisode 2)

J’ai décidé, en marge de mon tout premier évènement CTV Innovators, de me pencher sur les spécificités d’un écosystème aussi fragmenté que mal connu. L’objectif : vous aider à mieux en comprendre les enjeux dans une série qui se déclinera en trois épisodes. 

Après un premier épisode qui nous a permis de poser quelques bases, on va s’intéresser, cette semaine, aux forces vives de l’écosystème CTV. Un écosystème qui, comme je vous le disais, se divise en quatre ensembles - AVOD, BVOD, SVOD et FAST - qui diffèrent en termes de prix et de reach.

Youtube, le champion de l’AVOD

On a au premier rang, l’AVOD (l’advertising video on demande) pour ne pas dire Youtube, qui représente le gros des investissements en vidéo en ligne, avec plus de 600 millions d’euros captés en 2024 (toujours selon l’Observatoire de l’ePub). 

Le tout, grâce à un reach dingue (on parle de 49,5 millions de visiteurs uniques au dernier pointage Médiamétrie), des CPM hyper attractifs, qui naviguent entre 5 et 12 euros selon les types de ciblages, et, évidemment, de la data, qu’elle soit 1st party ou celle d’un partenaire qui l’onboarde via DV 360 ou Ads Data Hub (car oui, Youtube a la chance de s’appuyer sur l’écosystème tech de Google).

Une puissance de feu qui fait que, comme le rappelait Mickael Delinotte, le head of media de KFC France, dans le dernier épisode du “Media Buyers Club”, “Youtube n’a pas d’égal en ce qui concerne sa capacité à offrir une montée en couverture très rapide en CTV.” Un argument de taille pour tous ces annonceurs qui veulent transvaser une partie de leurs budgets du linéaire vers la CTV.

Youtube a également deux atouts qui font cruellement défaut aux acteurs de la Bvod. D’abord, une capacité à nouer des deals globaux avec les annonceurs. On parle, dans le jargon, de joint-business plan (JBP). Des JBP qui pipent un peu les dés puisque quand une agence média doit réfléchir à son mix média, une bonne partie de l’allocation a déjà été décidée en amont. De sorte que les acteurs locaux se battent forcément pour les “restes”. 

Non content d’avoir une relation privilégiée avec les top annonceurs globaux, Youtube est aussi le seul dans cet écosystème CTV hyper fragmenté à pouvoir adresser la longue traîne : les petits et moyennes entreprises, ceux qu’on appelle les “SMBs” dans le jargon tech. 

Ils constituent une bonne partie de ses revenus publicitaires et cela s’explique par le fait que 1° c’est très simple d’acheter de la pub sur Youtube (pas besoin d’utiliser DV 360, on peut le faire via Google Ads et, si on ne veut pas se prendre la tête, tout déléguer à Performance Max) 2° comme énoncé plus haut, ça ne coûte pas cher. 

Sans compter que Youtube n’est, contrairement aux acteurs de la Bvod et de la Svod, pas soumis aux contraintes des plateformes SMAD. Pas besoin d’un avis ARPP pour valider ou non une créa. Ce qui explique aussi que sur Youtube, les pubs des géants de l’automobile, de la tech et du luxe cotoient celles de marchands de rêves qui vous vendent des formations à quelques milliers de dollars, pour devenir millionnaire. 

Ce laxisme sur la qualité des annonceurs (il y a quand même un travail de modération) est l’une des faiblesses de la plateforme. C’est l’une des raisons pour lesquelles un annonceur comme Intermarché ne s’aventure pas sur la plateforme, comme nous l’a expliqué Hervé Ribaud-Shinberg, son patron du média, à l’occasion de l'événement CTV Innovators. “Tant que je ne pourrai pas m’assurer, prebid, de là où mes annonces seront diffusées, je n’irai pas.” 

Cette crainte vis-à-vis de la qualité du contexte auquel est associé la marque vaut autant pour les aures publicités que pour les contenus. Car si Youtube se revendique comme la première chaîne TV en France et que les productions d’un Squeezie n’ont franchement rien à envier à celles des programmes issus du linéaire, l’essentiel des contenus “pubables” ne sont pas du même niveau. 

Youtube reste le royaume de l’UGC (user generated content) avec son lot de vidéo à la qualité discutable. Et ça aussi ça peut rebuter les annonceurs. Sans compter que Youtube marche sur les pas d’un TikTok et que, même en CTV, vous pouvez vous retrouver à dépenser la moitié de votre budget Youtube sur le format Shorts en 9-16e, comme le révélait Mickael Delinotte.

Youtube en a bien évidemment conscience et essaie même d’y remédier. En montant en gamme sur le volet contenu, comme il le fait aux Etats-Unis, où il est diffuseur de la NFL et de la March Madness, deux programmes qui lui permettent de reprendre les codes de la TV, en mariant des contenus qui sont de qualité et qui réunissent des audiences instantanées. 

Ou en réussissant à devenir le carrefour d’audience de la CTV, via cette offre baptisée Youtube TV, qui agrège en plus les offres de broadcasters et services de SVOD (pour la coquette somme de 70 dollars mais c’est les Etats-Unis que voulez-vous). A Youtube de faire de même sur le volet publicitaire, pour offrir des garanties aux annonceurs aussi exigeants qu’Hervé Ribaud-Shinberg. C’est le sens d’une offre comme Youtube Select, une offre packagée qui réunit le top 5% des contenus Youtube en termes d’audience.

La SVOD veut sa part du gâteau

On a ensuite la SVOD, qui est constituée de plateformes au modèle hybride, puisque ces acteurs, qui font historiquement de l’abonnement, n’ont introduit la publicité que récemment (dans l’ordre, Netflix, Disney+, Prime Video, Max). 

Sans surprise, les audiences sont encore faibles, puisqu’Amazon revendique 9 millions d’abonnés à sa plateforme vidéo, sans qu’on sache combien utilisent réellement le service (rappelant que Prime Video est un avantage parmi d’autres inclus dans l’abonnement Prime), et que Netflix a assuré être le numéro 1 du secteur, dans une récente communication, revendiquant 8,2 millions d’utilisateurs uniques (ce qui laisse entendre qu’au moins 10% des abonnés de Prime Video n’y vont pas donc).

Les CPM sont plus élevés que la moyenne, le plus souvent compris entre 20 et 30 euros même s’ils ont tendance à baisser depuis l’arrivée de Prime Video (Qui se souvient encore des 35 à 50 euros de CPM de Netflix et Disney+ à leurs débuts ?). 

Ce positionnement tarifaire, mis en perspective avec les audiences encore naissantes, n’a pas aidé au développement de ces offres qui, passé l’effet curiosité, ont eu un peu de mal à exister dans les plans médias des annonceurs. C’est particulièrement vrai pour Netflix et Disney+ qui n’ont eu, au début, que leur image de marque et des programmes affinitaires à offrir aux annonceurs. 

C’est l’un des problèmes de l’environnement CTV, il n’a que peu de data 1st party à offrir puisque le fait de regarder un programme comme “Squid Game” ou “Avengers” en dit finalement peu sur votre profil de consommateur. Les broadcasters ont le même soucis et je vous expliquerai, dans un prochain épisode, comment ils y remédient. 

Cela expose en tout cas Netflix, Disney+ ou Max à un risque de taille : celui de ne pas avoir de positionnement clair. Dit autrement par Emmanuel Crego, le DG de Values.mediaa : “être trop cher pour se contenter de faire du socio-démo et ne pas être suffisamment diversifié en matière de data pour justifier ce tarif élevé”.

Amazon a, de son côté, un atout de taille dans sa manche : toute la data relative à son site e-commerce, ce qui va permettre à un annonceur endémique d’aller taper dans les acheteurs de sa catégorie et un non endémique de cibler des segments affinitaires (une marque d’automobile peut viser les CSP+). 

Prime Video a, sans surprise, capté les deux tiers des investissements alloués à cette catégorie SVOD en 2024 (un total de 97 millions d’euros selon l’Observatoire de l’ePub). C’est déjà énorme, pour des acteurs encore jeunes, dont la part de marché devrait s’accroître en même temps qu’ils structurent leur offre pub (Netflix a lancé son propre adserver, il s’ouvre au programmatique, comme Disney+) et que, surtout, leurs audiences pubables augmentent. 

Le phénomène de la “susbcription fatigue” fait que les offres avec pub de ces acteurs devraient prendre de plus en plus de poids dans les recrutements. Car si on a longtemps pensé que les jeunes prendraient les habitudes des plus anciens en revenant au linéaire à mesure qu’ils prennent en âge, on se rend compte que c’est l’inverse qui se produit, en témoigne l’essor des “silver streamers”, ces utilisateurs de 55 ans et plus qui sont de plus en plus nombreux à choisir la SVOD plutôt que le linéaire au moment de choisir ce qu’il faut regarder. 

Une tendance qui devrait aussi s’accélérer à mesure que Netflix et consorts vont, comme Youtube, sur le terrain de jeu du linéaire. Prime Video est diffuseur de Roland Garros (après avoir été celui de la Ligue 1), Netflix a été celui du combat entre Jake Paul et Mike Tyson (et se met de plus en plus au live).

Le Fast (pas encore furious côté business)

Reste le Fast, acronyme de “free ad-supporting streaming television”, un mot un peu fourre-tout qui correspond à des chaînes TV, du linéaire donc, diffusées sur Internet, gratuitement, et financées par la publicité. Des chaînes que l’on retrouve le plus souvent au sein des vidéos lancées par les Smart TV (Samsung TV Plus, LG Channels ou Titan Channels) ou au sein de plateformes mixant linéaire et VOD, comme Rakuten TV, Molotov ou encore Pluto TV.

Les CPM sont généralement relativement élevés, entre 15 et 20 euros et l’audience (pas encore officiellement mesurée), y est relativement confidentielle. Ce qui rend ce segment, vous l’aurez compris, plutôt difficile à positionner du côté des acheteurs médias. 

D’autant qu’il n’a, contrairement à l’écosystème BVOD - SVOD, que rarement de données loguées puisque la plupart de ces services n’imposent pas à l’utilisateur de se loguer pour profiter du contenu. “Et qu’en plus certains de ces écosystèmes (notamment Samsung TV Plus, LG Channels ou Titan Channels) n’ont pas d’existence (ou très peu) en dehors de la CTV”, comme le rappelle Emmanuel Crego.

Ce qui 1° complique sensiblement leur intégration à des plans cross-vidéos 2° les expose à un changement de stratégies des fabricants de Smart TV qui pourraient, très bien, décider un jour de rationaliser l’offre pour la rendre plus lisible (et donc se passer de la longue traîne).

Il y a, pour autant, de vrais atouts. On parle de contenus hyper thématiques, souvent de niche, qui offrent aux annonceurs les plus verticalisés de véritables contextes affinitaires et accès à une population qui ne regarde quasiment plus le linéaire. “Une récente étude nous a permis de voir que 85% de l’audience de cet écosystème, qui va de Rakuten à Pluto TV, en passant par Samsung TV Plus, ne consommait pas de linéaire. C’est sans doute beaucoup plus que la Bvod”, rappelle Maxime Cerda, le fondateur de Stamp.

On parle d’un écosystème en forte croissance (plus de 600 chaînes Fast ont été recensées en France, soit une hausse de 20% en 2 ans). Un écosystème qui attire des acteurs issus du print, qui voient bien que l’outstream stagne. Citons Figaro TV, notamment disponible sur Molotov, ou encore les projets (encore confidentiels) de Prisma Media. 

Mais aussi des acteurs de la Bvod, qui préfèrent l’hyperdistribution à la stratégie d’imposer leur app à tout prix. C’est le cas de RMC - BFM +. “On a été surpris par la capacité de ces environnements à générer de l’audience”, témoigne Olivier Rozental, le directeur de la transformation digitale de la régie, qui parle de 10 millions d’heures de streams par mois.

Le principal frein au développement de cet écosytème, c’est sans doute sa visibilité. “Il y a énormément d’acteurs, l’univers est hyper fragmenté et j’ai du mal à voir comment ces acteurs vont réussir à vivre chacun de leur côté”, estime Camille Quiqueret, head of programmatic de 79. 

C’est, pour le buyside, autant un sujet d’expérience utilisateur (avoir un seul interlocuteur plutôt qu’une ribambelle) que de réassurance quant à la capacité de ces acteurs à délivrer le reach demandé. “C’est un vrai problème, reconnaît Thomas Allemand. Le VP adtech de Jellyfish a encore en tête certains tests où son agence n’arrivait pas à délivrer des campagnes de 5K… sur trois semaines.

L’autre sujet, c’est la data. Le gros inconvénient de ces environnements, c’est qu’ils exigent rarement de leurs utilisateurs qu’ils se connectent pour y accéder (ce qui peut être interprété comme un désaveu quant à la qualité du contenu qu’ils proposent). 

“On est encore à l’âge de pierre là-dessus”, reconnaît Maxime Cerda. Lequel enjoint les fabricants de Smart TV à “proposer à chaque utilisateur d’un foyer de rentrer dans son profil, un peu comme le fait Netflix.” Et d’appeler de ses vœux la mise en place d’un univers logué qui permettra aux annonceurs d’injecter leur first party data, voire d’y inclure celle de partenaires retailers.

“Exactement ce que font aujourd’hui les acteurs de la Bvod.” La suite au prochain épisode avec un focus, justement, sur cette typologie d’acteurs.