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Tout comprendre au marché de la CTV (épisode 1)

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J’ai décidé, en marge de mon tout premier évènement CTV Innovators, de me pencher sur les spécificités d’un écosystème aussi fragmenté que mal connu : la CTV.
L’objectif : vous aider à mieux en comprendre les enjeux dans une série qui se déclinera en trois épisodes. Cette semaine, on s’attaque aux fondamentaux : combien pèse le marché, pourquoi il est hyperfragmenté, côté acheteurs comme côté vendeurs, et pourquoi une mesure cross media est, dans ces conditions, plus que cruciale.
Combien pèse le marché français de la CTV ?
Le préalable indispensable, avant d’étudier un marché, c’est de se mettre d’accord sur son périmètre. Si vous mentionnez le terme de CTV à un Américain, il est probable qu’il vous parle de sa smart TV Samsung, du boîtier Roku de son voisin ou du sticker type Chromecast ou Fire TV, qu’il utilise en déplacement. Autant de devices qui sont directement connectés à un Wifi et qui permettent à ce qu’on appelle les “cord cutters” de s’affranchir des offres de plus en plus onéreuses du câble.
Ça, c’est ce qu’on appelle l’OTT en France. Car nous sommes un pays atypique, où la consommation TV se fait essentiellement via la box des télécoms. 83,7% des foyers équipés d’une TV connectée passe par le décodeur de leur FAI selon l’Arcom. On parle d’IPTV pour évoquer tout cet écosystème applicatif lié aux boxes.
Un écosystème auquel on peut ajouter une autre innovation, elle aussi liée aux telcos, la télévision segmentée. Une pratique qui consiste à faire de la télévision adressée, avec un telco qui va, à la demande du broadcaster, remplacer certains spots, pour leur substituer des spots ciblés en fonction du profil du téléspectateur.
En France, la CTV, c’est donc OTT + IPTV + TV segmentée. Un trio dont on connaît le poids dans les revenus publicitaires digitaux, grâce au dernier Observatoire de l’ePub. Il est de 520,3 millions d’euros en 2024. C’est 34% de plus sur un an et c’est évidemment bluffant dans un marché en hausse de 14% sur la période.
Cela correspond à pas loin de la moitié du marché de la vidéo en ligne, qui était de 1,2 milliard d’euros en 2024. Mais c’est à peine 15% du marché de la TV linéaire, estimé à 3,523 milliards d'euros sur 2024, par le dernier Bump. Cela s’explique par le fait que le marché français reste très linéaire, puisque ce dernier représente quasiment les deux tiers de la consommation en France, contre moins de 50% aux Etats-Unis.
S’il n’est pas aussi entamé qu’outre Atlantique, le déclin reste néanmoins en marche, puisque Magna estime que le marché pub TV linéaire perdra 150 millions d’euros d’ici 2027 en France.
CTV, la convergence de deux mondes
Pourquoi je vous parle de ces deux marchés ? Parce que c’est de là que vient, aujourd’hui, l’argent investi en CTV. Les budgets issus du linéaire, d’une part, qui sont transvasés dans la SVOD et la BVOD. Ceux de la vidéo en ligne, notamment de l’outstream (qui est en décroissance en 2024). Ce qui explique pourquoi nombre d’éditeurs issus du print regardent aussi ce marché avec intérêt, notamment via le versant Fast, à l’image d’un Figaro (mais il se murmure que Prisma Media annoncera des choses dans les semaines à venir).
Cette convergence se reflète évidemment du côté des acheteurs, puisque vous n’aurez pas le même interlocuteur, selon qu’il s’agisse d’une campagne TV + VOL (ce sera plutôt un acheteur multiscreen) ou pure VOL (ce sera plutôt un trader issu du digital).
L’acheteur multiscreen voit bien que la durée d’écoute individuelle (DEI) de la TV linéaire baisse et que ça devient plus compliqué de toucher certaines audiences (notamment les 18-35 ans) dans cet environnement. Il aspire donc à faire de l’incrément de couverture sur ces populations qui regardent peu ou plus de linéaire, que ce soit sur Youtube, sur la Bvod ou en TV segmentée (où on vous propose de cibler les petits consommateurs de linéaire).
L’acheteur multiscreen achète au gré à gré, soit une couverture garantie, soit au spot à spot. Toujours en GRP, avec le plus souvent des segments socio-démo et un fort tropisme contextuel (%peak, %ep). Tout ça n’existe pas sur le stream qui peut, en plus, paraître cher pour des acheteurs qui paient le linéaire autour des 5-7 euros si on raisonne en équivalent CPM.
L’acheteur digital est, lui, biberonné au programmatique, fan de vidéo en ligne qui comprend du Youtube, de la Bvod et de l’outstream. Il y voit l’opportunité de basculer des budgets VOL sur un écran qui est très performant sur l’item attention et faire du ciblage d’audience qui aille au-delà du socio-démo en TV.
Il achète au CPM, avec spot vidéo considéré comme vu à partir de 2 secondes à 50% de la créa (le standard du MRC). Il ne cible pas forcément cet écran, il a juste le split en reporting. Ce qui s’explique aussi par le fait que la supply n’a, elle non plus, pas vraiment de stratégie de commercialisation écran par écran (vous avez des majorations si vous demandez un écran spécifique qu’il s’agisse de la TV ou du mobile mais l’écran TV, en tant que tel, ne coûte pas beaucoup plus cher.
Une offre streaming bien fragmentée
Chiffres et estimations par Open Garden
Je vais parler, ici, de VOL sur quatre écrans plutôt que de CTV puisque Médiamétrie ne mesure pas cet écran (pour l’instant). On a donc, en ordonnées, les audiences (reach mensuel) et en abscisse, les estimations de CPM réalisées par mes soins, après recoupement marché. Bien sûr, lesdits CPM dépendent systématiquement des accords entre acheteurs et régies, de même que des ciblages activés. On va donc raisonner en fourchette pour la suite.
On a donc quatre grands ensembles - AVOD, BVOD, SVOD et FAST - qui, comme vous le voyez dans le graphique ci-dessous, diffèrent en termes de prix et de reach (je parlerais du contenu plus loin).
Je laisse volontairement le social de côté, puisque ces deux représentants les plus puissants, Meta et TikTok, sont pour l’instant peu présents sur cet écran (même si le 9-16e commence à y faire son apparition). En témoignent les propos de Mickael Delinotte, head of media de KFC France qui nous disait dans le 5e épisode du Media Buyers Club que la moitié de son budget Youtube diffusé en CTV l’était via le format Shorts
On a l’AVOD, pour ne pas dire Youtube, qui représente le gros des investissements en vidéo en ligne, avec plus de 600 millions d’euros captés en 2024 (toujours selon l’Observatoire de l’ePub). Le tout, grâce à un reach dingue, des CPM hyper attractifs, qui naviguent entre 5 et 12 euros selon les types de ciblages.
On a ensuite la SVOD, qui est constituée de plateformes au modèle hybride (pub + payant), des audiences encore faibles (ils sont jeunes) et des tarifs au-dessus de la moyenne, entre 20 et 30 euros, même s’ils ont tendance à baisser depuis l’arrivée de Prime Video). Ce segment a capté à peu près 97 millions d’euros en 2024, soit 8% du marché.
Les deux tiers de ces investissements sont captés par Prime Video Ads qui, pour les raisons que j’ai évoquées plusieurs fois (CPM attractifs, data Amazon et inventaire massif) s’est vite imposé comme le numéro 1 du secteur.
Entre les deux, on a la BVod, l’offre en ligne des broadcasters (dont il faut dire qu’ils font du streaming et non plus du replay). Le duo de leaders, TF1+, France.Tv et M6 ont pour eux des reachs significatifs, sur le mois et même sur la journée puisque TF1+ revendique 4 millions de visiteurs sur la journée. Les CPM sont plus abordables, généralement entre 10 et 15 euros, même si chez TF1+, ça peut descendre jusqu’à 7 euros du CPM en run of network (c’est à dire sans ciblage) particulier.
Reste le Fast, que l’on retrouve au sein de plateformes comme Samsung TV Plus, Rakuten, LG Channels, Molotov ou Pluto TV. Les CPM sont généralement relativement élevés, entre 15 et 20 euros et l’audience (pas encore officiellement mesurée), y est relativement confidentielle. Ce qui rend ce segment, vous l’aurez compris, plutôt difficile à positionner du côté des acheteurs médias.
De la mesure… et encore de la mesure
Aujourd’hui on mesure le linéaire, on mesure la vidéo desktop et mobile, on a besoin de pouvoir le faire sur la CTV. Ne serait-ce que pour répondre à certaines questions que les acheteurs médias se posent en ce moment.
En vrac : Quel est l’audience pubable de Netflix ? Et est-ce qu’il peut rivaliser avec le linéaire sur un access ? La récente communication de Netflix, qui a publié le résultat d’une enquête de Médiamétrie lui attribuant 8,2 millions de visiteurs uniques, ne répond pas à cette question.
Je vous parlais de Youtube et de ses 50 millions de visiteurs uniques mensuels. Le problème, c’est qu’on ne connaît pas le ratio exact, qui y accède depuis un device OTT ou en IPTV. On parle de 30% en France (50% aux Etats-Unis) mais ce sont, soit des bruits de marché, soit des statistiques données par Youtube lui-même. Idem pour TF1+, qui nous dit que 70% de sa consommation vidéo se fait sur l’écran TV. On a besoin d’un tiers pour vérifier et peut-être réaliser que, sur l’écran CTV, TF1+ n’est pas si loin que ça d’un Youtube, voire même devant.
Les acteurs du FAST qui sont, pour la plupart, des pure-players de la CTV, en ont eux aussi besoin puisqu’en digital, ce qui n’est pas mesuré n’existe pas (exception faite de quelques géants de la vidéo en ligne qui, sur leur nom, réussissent à dépasser cet état de fait). Et puis, il y a cette question que se pose tout acheteur TV : quelle est l’audience que ces plateformes de streaming réalisée auprès des 15-34 ans, cette population qui ne regarde plus la télévision.
On a l’info pour la BVod, depuis fin 2024, via le panel Mediamat. Enfin, juste pour les 25-34 ans (les 15-24 ans devraient arriver plus tard). Et il faut dire qu’à raison de 10 millions d’impressions, facturées 150 000 euros, pour obtenir 1 à 1,5 point de couverture incrémentale sur les 25-49 ans, certains acheteurs risquent de se poser des questions. Les mêmes qu’ils se poseront peut-être, quand ils recevront de telles informations pour l’AVOD et la SVOD, ce qui devrait être le cas d’ici la fin de l’année.
Avant celà, il faudra que le comité de mesure cross-media, lancé par Médiamétrie, début mars et qui réunit une trentaine d’acteurs du marché (annonceurs, agences médias et régies) se mettent d’accord sur la définition d’un contact.
C’est un préalable indispensable, pour être en capacité de réconcilier l’audience des campagnes diffusées sur le linéaire (où on a Mediamat) avec celles diffusées sur le non linéaire (CTV mais aussi desktop et mobile). Qu’est-ce qu’un contact publicitaire ? Un acteur du digital s’en référera aux normes MRC (50% de la surface de la créa, vue plus de 2 secondes).
Un broadcaster aura, lui, une vision beaucoup plus restrictive, qui intègre une notion de complétion (même si c’est la moyenne d’un écran publicitaire et pas celle du spot). En bref, des choux et des carottes.Sans surprise, chacun tire le KPI vers ce qui l’arrange le plus, même si les deux premières réunions ont, été, selon les échos obtenus par Open Garden, plus que constructives.
Les autres pays n’échappent pas à ces querelles de chapelle puisqu’Origin et Aquila, les deux projets de mesure cross-media lancés par les annonceurs au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, soulèvent les mêmes débats. Même si, côté anglais, Martin Lawson, chief customer officer d’Origin, nous assurait que “les grandes plateformes vidéos avaient mis pas mal d’eau dans leur vin”.
La méthodologie reste, quel que soit le pays, la même : un panel, pas toujours constitué par le même prestataire, et de la donnée log-level récupérée chez les plateformes en ligne. En bref, de quoi permettre aux acheteurs de faire des arbitrages avec la vidéo en ligne (tout en valorisant un contexte qui n’a rien à voir avec celui d’un desktop ou d’un smartphone).
En gardant en tête que l’écran CTV permet du coviewing, comme l’a rappelé TF1 Pub récemment et en trouvant un moyen de le valoriser. En n’oubliant pas que, parfois, le plus gros écran n’est pas celui qui génère le plus d’attention comme en attestent nombre d’études. On peut aussi cette statistique Equativ - Sharethrough assez édifiante, qui révèle que 64% des téléspectateurs sortent leur téléphone à la pause pub et que la moitié mute carrément leur écran de TV. Une statistique que le recours aux technologies d’ACR permet néanmoins de prendre en compte. La suite au prochain épisode…