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E-commerçants... Êtes-vous prêts pour un Web où les humains se font de plus en plus rares ?

Les LLM, futurs gatekeepers de l’Internet ? Avec rarement plus d’1% du trafic d’un site Web qui provient de ChatGPT, Gemini ou Perplexity, on en est encore loin. Mais alors que ces assistants IA se démocratisent à la vitesse “grand V”, qu’on peut déjà demander à Operator de gérer nos achats sur certains sites e-commerce et que Perplexity propose à ses abonnés Pro d’acheter certains produits directement depuis son interface, ce serait une erreur que de ne pas se poser la question. 

Si Meta, X et consorts ont échoué jusque-là à lancer une version occidentale des super apps chinoises telles que WeChat, au sein desquelles vous pouvez quasiment tout faire, il ne fait pas de doute que l’avènement des LLM va favoriser l’émergence d’acteurs de ce type. Qu’il s’agisse des assistants que j’ai évoqués plus haut (ChatGPT, Perplexity…) ou d’acteurs historiques du Web, comme WhatsApp, qui essaie d’imposer l’utilisation de Meta AI à tout va, ou d’Amazon qui a lancé son “Buy for me” pour vous permettre de shopper hors de son site sans le quitter. 

Même Google, le géant de la recherche, s’est résolu à embrasser la révolution, en même temps qu’il déploie, directement depuis sa homepage, son AI mode. De quoi lui permettre de passer du statut d’un simple moteur de recherche à un véritable moteur de réponses. Et même plus, puisque l’AI mode sera très prochainement branché aux 50 milliards de produits Google Shopping.

On parle, dans le jargon, de l’avènement du “zero click search”, une pratique qui va conduire à une baisse inexorable du trafic organique obtenu par la plupart des sites Web (même si Google assure qu’AI Overviews génère certes moins de clics… mais des clics plus qualifiés). Une pratique qui est, à en croire une enquête menée par Bain en décembre dernier, plus répandue que vous ne le pensez puisque 80% des consommateurs déclaraient résoudre 40% de leurs recherches en ligne sans cliquer sur aucun lien. 

Ce changement de paradigme, qui verra des “super apps” se poser comme un intermédiaire entre l’internaute et les sites Web, pose beaucoup de questions. Avec l’essor des agents conversationnels, une part croissante du trafic web sera générée non plus par des humains mais par des IA, qu’il s’agisse de : 

1° leurs robots, qu’il vous faudra bien accueillir pour qu’ils vous indexent correctement (voir les réflexions de Back Market et ManoMano sur le sujet)

2° leurs agents, qui seront missionnés par les utilisateurs pour trouver, par exemple, “un vélo pliable à moins de 1500 euros”, “Un canapé en L, qui soit convertible et compatible avec un petit salon de 2 sur 10m2”...

“Plus de 50 % du trafic web est déjà généré par des bots. Et ce n’est qu’un début”, rappelle Botify dans un livre blanc consacré à ce qu’Adrien Ménard, son cofondateur, appelle “la rupture la plus radicale dans la recherche organique depuis l’invention de Google.” Un basculement profond, qui bouleverse les modèles historiques de visibilité, monétisation et conversion. 

​​Un site média peut-il encore vendre de la publicité aux marques, si l’essentiel de son trafic est “non humain” et qu’on peut douter qu’une pub vue par un agent augmente l'awareness de la marque concernée ? Même question pour tous ces sites e-commerce qui ont fait du retail media l’un de leurs nouveaux leviers de croissance. Rappelons que ce dernier peut peser jusqu’à 5% des revenus des sites e-commerce les plus matures.

Sans compter qu’ils devront aussi repenser l’expérience utilisateur, alors qu’un agent est (jusqu’à preuve du contraire) peu enclin à faire des achats d’impulsions ou d’accepter de dépasser le budget qu’il s’était fixé initialement parce qu’il a un “coup de cœur”. Ce qui devrait, in fine, impacter le revenu par utilisateur… 

Pour les e-commerçants, l’avènement des LLM pourrait conduire à : 

- un trafic Web moindre donc moins d’occasions de faire connaître ses produits 

- un revenu par utilisateur moindre car moins d’occasions de faire du cross-sell

- l’amenuisement, voire la disparition, de certaines sources de revenus comme le retail media

- une perte de connaissance client, le LLM jouant le rôle de “proxy” entre l’humain et le site.  

Il n’est pas dit, pour autant, que l’avènement de l’IA générative réduira la taille du gâteau (c’est-à-dire le marché de l’e-commerce). Ce pourrait être même le contraire puisque, comme le rappelle le plus connu des business angels français, Fabrice Grinda, l’IA pourrait favoriser le commerce transfrontalier (en traduisant automatiquement les annonces) et faciliter le développement de l’offre des marketplaces BtoC (le process pour mettre en ligne ses annonces étant simplifié par l’IA). 

L’expert rappelle, par ailleurs, qu’une bonne partie du shopping en ligne est constitué de “lèche vitrine”, avec des utilisateurs qui naviguent sur des sites comme Vinted, sans savoir vraiment ce qu’ils cherchent, juste pour le plaisir de la sérendipité. Un trafic qui génère beaucoup de pages vues… mais peu de conversions et qui ne devrait pas être disrupté par les LLM. 

Pour les autres cas de shopping (je cherche un conseil pour une catégorie de produit ou j’ai déjà mon produit en tête), ce sera une autre histoire. “Les assistants IA bouleversent le tunnel de conversion : ils peuvent faire passer un consommateur de la découverte à l’achat en une seule interaction”, observe Adrien Ménard.

Ce n’est pas forcément la fin du tunnel de conversion classique puisque les premiers enseignements démontrent que le travail d’awareness (la publicité, l’influence marketing, les RP…) a une influence sur le référencement des marques dans les LLM, comme l’expliquaient à Open Garden Marion de Robillard, global marketing et communication director de Qonto, et Aurélie Fliedel, CMO d’Alan. 

Dans ce nouveau paradigme, les sites deviennent des bases de données alimentant des modèles plutôt que des destinations visibles. Car les agents mandatés par l’humain ne naviguent pas comme le ferait ce dernier. Ils interrogent, analysent et choisissent pour l’utilisateur. 

“Ce n’est plus un humain qui clique sur vos pages produits mais des systèmes qui interagissent entre eux via des flux”, illustre Thomas Skowronski, VP Product chez Jellyfish. Cela induit une montée en puissance des formats machine-first : contenus structurés, fiches produits normalisées et flux produits envoyés à ChatGPT et cie, comme ils le sont déjà à Google Shopping (ChatGPT a déjà lancé une liste d’attente en ce sens). 

Vous n’avez pas un site d’ameublement qui a transformé son catalogue de façon à se positionner sur la requête type “je voudrais un canapé à moins de 1000 euros pour une pièce de 2m sur 12 et qui archi résistant car j’ai deux enfants en bas âge et un chat”

“Tout l’enjeu sera de fidéliser l’IA, comme vous le faisiez pour les humains”, résume Thomas Skowronski. Des IA qui restent, par ailleurs, aiguillées par les consignes de l’humain, via des requêtes formulées en langage naturel, à l’écrit aujourd’hui, de manière vocale demain. Une nouvelle manière de communiquer, conversationnelle, qui contraste avec les contenus proposés aujourd’hui par les sites e-commerce, qui restent, eux, très formels. 

“Vous n’avez pas un site d’ameublement qui a transformé son catalogue de façon à se positionner sur la requête type ‘je voudrais un canapé à moins de 1000 euros pour une pièce de 2m sur 12 et qui archi résistant car j’ai deux enfants en bas âge et un chat”, caricature le fondateur de Resoneo, Richard Strul.

Comment y arriver ? L’expert recommande à tous les e-commerçants de : 

1° Identifier leurs persona, c’est-à-dire de segmenter leur base client en type de consommateurs (par ex, les bricoleurs du dimanche, les férus de bricolage, les pros du bricolage…) et comprendre comment ces différents persona recherchent de l’information 

2° Intégrer les éléments de langage de chaque persona à leurs fiches produits et y ajouter des éléments UGC (avis consos et autres), de façon à avoir une plateforme PIM (product information management) 

Plus facile à dire qu’à faire me direz-vous. Ikea, qui a lancé son propre assistant dans le store de ChatGPT, est, de ce point de vue, un exemple à suivre. “Cet assistant est un vrai laboratoire pour comprendre comment les gens recherchent l’information avec ces assistants”, explique Mathieu Staat, practice director chez Thinkmarket. Et, in fine, améliorer sa visibilité au sein de ces derniers.

Parce qu’on n’accueille pas un humain comme on accueille un robot, les sites e-commerce pourraient être incités à montrer deux visages : un en front, pour l’internaute (avec un degré de personnalisation maximum), un autre, en back, pour le crawler du LLM, avec un temps de chargement abaissé autant que possible et des segmentations par persona.

Cette pratique, baptisée “cloacking” est interdite par Google, qui pénalise le SEO de ce qui s’y aventurent, mais ne l’est (pour l’instant ?) pas par les LLM, comme le relevait Céline Mazouffre, head of SEO de BackMarket

S’il impacte l’UX des sites e-commerce, l’avènement de l’agentique va aussi impacter son back-office, puisqu’il introduit un nouveau langage, au sein duquel le model context protocol (MCP) fait figure de douanier. 

Le MCP, c’est le nouveau langage de base entre un site et un agent IA. C’est, concrètement un flux produit enrichi, standardisé, structuré et mis à jour en temps réel, qui permet à un modèle d’IA de comprendre ce qu’est votre produit, connaître son prix, sa disponibilité, ses avantages, le comparer à d’autres offres concurrentes.

Si vous n’avez pas de “passeport” MCP en surcouche de votre catalogue produit, ce dernier n’est pas visible des agents IA. Point final. Pour les retailers qui passent par des prestataires comme Shopify, ce ne sera pas un souci, vu que ces derniers mettront cela eux-mêmes en place. Pour ceux qui ont des choses “home made”, il va falloir se mettre à la page.

Une fois le produit découvert (grâce à MCP), encore faut-il qu’il puisse être commandé, payé et livré efficacement. Autant d’actions qui impliquent que le moteur IA puisse dialoguer avec tous vos systèmes internes (logistiquement, paiement, SAV…). 

Du MCP au protocole agent-to-agent

C’est ici qu’entrent en piste les systèmes agent-to-agent (on parle de A2A dans le jargon), qui désignent l’ensemble des interfaces permettant aux agents de parler entre eux pour exécuter des actions concrètes. Google a jeté les bases d’un protocole ouvert pour permettre à l’agent d’un LLM de communiquer avec l’agent d’un site e-commerce comme dans l’exemple ci-dessous : 

- “Commande #7132 prête ?”
- “Oui, stock OK.”
- “Lancer livraison via Colissimo.” ✅

On a pour l’instant peu d’exemples de sites e-commerce qui ont entamé des chantiers structurants là-dessus (ou du moins communiquer à ce sujet). “On est plus au stade des discussions que de l’action”, reconnaît Richard Strul, précisant que les avancées dépendent beaucoup des personnalités de ses interlocuteurs. 

Pas une surprise, à en croire Thomas Skowronski, qui rappelle que les e-commerçants sont très ROIstes et qu’ils raisonnent en termes de trafic et de conversions générés. “La plupart vont sans doute commencer à s’y intéresser lorsqu’on aura atteint le palier des 10%.” “D’autant que le contexte économique, qui est globalement plutôt difficile pour l’e-commerce, fait que les acteurs du secteur ont bien d’autres priorités en ce moment”, complète Matthieu Vermot, country manager France de Worldpay.

Il y a bien un secteur qui a entamé sa mue : c’est celui du travel, un secteur habitué aux disruptions, comme le rappelle Mathieu Staat, qui cite “le partenariat entre Perplexity et TripAdvisor, qui voit le premier s’appuie sur les données du second, et celui entre Expedia et Open AI, qui permet de simplifier la planification de voyages pour les utilisateurs de ChatGPT.” 

“Le voyage est le premier à s’y mettre mais toutes les verticales vont y passer”, pressent Mathieu Staat, qui alerte sur les dangers de s’y mettre trop tard. Les acteurs du paiement (Visa, Mastercard et Paypal en tête) se sont d’ailleurs déjà emparés du sujet, en mettant sur pied des infrastructures compatibles avec ces systèmes agentiques.

Ça va être compliqué pour pas mal de sites e-commerce de défendre leur petit supplément d’âme, si les clients n’arrivent plus jusqu’à chez eux

“Ça va être compliqué pour pas mal de sites e-commerce de défendre leur petit supplément d’âme, si les clients n’arrivent plus jusqu’à chez eux et qu’ils ne maîtrisent plus la manière avec laquelle leur produit est présenté à l’utilisateur”, prévient Richard Strul. 

Un état de fait qui pourrait d’ailleurs en conduire certains à refuser de brancher leur catalogue e-commerce à certains agents LLM, comme une marque premium peut refuser d’être présente en grande distribution pour ne pas écorner sa marque ou chez Amazon pour ne pas alimenter ce dernier en datas susceptibles de l’inciter à référencer des produits similaires mais à coûts beaucoup plus faibles.

Ce sera, à chaque fois, un arbitrage entre le revenu incrémental que le LLM vous apporte et l’impact qu’il peut avoir sur votre perception de marque... 

Fabrice Grinda a, sur ce point, un avis assez tranché. Si vous vous indexez sur Google, comme c’est le cas de la majorité des sites e-commerce, vous devriez aussi vous indexer dans les LLMs et tirer parti de l’AEO (Answer Engine Optimization), estime l’expert.

“L’exception concerne les acteurs qui détiennent 95 % de part de marché dans leur catégorie : dans ce cas-là, il vaut mieux ne s’indexer ni sur Google ni sur les LLMs, car cela reviendrait à habituer les utilisateurs à commencer leur parcours via un moteur de recherche ou une IA conversationnelle. Mais ce cas de figure reste extrêmement rare.”